La Science des vacances
Profiter ou se souvenir, pourquoi il ne faut pas choisir
29-07-2016
Dernier Topo avant l’été. Une bonne manière de se motiver pour l’écrire, c’était de traiter d’un sujet dans lequel on pouvait se projeter avec une relative spontanéité. Comme... les vacances. On a essayé de voir comment la science pouvait nous aider à en profiter au maximum. Alors on vous souhaite un très bon été à tous ! (Et de toute façon, si vous lisez ce Topo, ça devrait bien se passer :)
Temps de lecture : 10 minutes.
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Non mais c’est bon, on vous a vus. Pas la peine de nier. Pour tout vous dire, on est un peu pareil : tout frétillants d’impatience à l’idée de partir en vacances.
Quoi, vous ne sentez pas cette excitation monter ? Ça y est, ça se précise, à la fin de cette semaine (ou de la suivante), vous y serez. On vous y voit déjà : zoom sur vos doigts de pied en éventail au bord de la piscine/Méditerranée/cascade de montagne dans le Jura près de chez Mémé.
Vous n’y êtes pas encore, et pourtant : vous kiffez déjà.
Vous savez quoi ? Profitez-en bien. Parce que la courbe du kif d’un vacancier ressemble à ça. Et le moment le plus sympa n’est vraiment pas celui auquel on pense…
A votre avis, à quoi correspondent les points suivants ?
Vous vous dites sans doute que A = préparation, B = départ, C = climax des vacances, D = retour. Ça paraîtrait logique. Et pourtant, pas du tout. Selon cette étude néerlandaise, le moment où un vacancier est le plus heureux, ce serait bien avant son départ. Les vacances, on y pense toute l'année. En plus de nos cinq semaines annuelles, on en profite des mois à l'avance, par anticipation... tellement on a hâte de partir. On en parle avec nos potes, nos collègues. Ça nous aide à nous projeter à moyen terme, pour les trois ou six prochains mois. Pratique quand c’est un peu dur au boulot.
Mais la conséquence, c'est aussi qu’on se met de plus en plus de pression... pour les réussir.
I / LES VACANCES OU LA COURSE AUX SOUVENIRS
A - La concurrence des vacances
Jetez un oeil à vos comptes Facebook ou Instagram : même quand on bosse, on fait semblant d’être en vacances.
Apéro sur la plage, pornfood et dîner romantique
Alors qu’un Instagram un peu fidèle ressemblerait plutôt à ça :
Café à la machine, choucroute à la cantine et point avec son boss
47 semaines de boulot pour 5 de vacances, c’est sûr que ça ne fait pas beaucoup. Alors quand on part, on a envie d’en profiter à fond. Et surtout... plus que les autres.
Un peu comme Tanguy. Cet été, Tanguy est parti en juillet, il vient de revenir. Avant son départ, il était serein : il s’était concocté un petit programme bien sympa. Et quand on regarde la courbe de kif de ses vacances, elle est plutôt cool :
Pendant ses deux semaines, il s’est même fait deux très, très gros kifs : un saut en parapente à la montagne et une plongée en bouteille en Egypte - deux moments géniaux. Il en a évidemment profité pour faire deux posts Instagram. Le truc, c’est que Julien et Adèle, ses deux potes, sont partis en même temps que lui. Et eux aussi, ils ont profité de l’été pour bombarder sur Instagram... Tanguy, lui, n’a pas pu s’empêcher de se comparer. Il n’y peut rien, c’est comme ça que fonctionne sa génération (ainsi que l’explique Tim Urban dans cet article génial). Il sait que, en dehors de ses deux moments de gros kif, il a passé des vacances cool, mais sans plus. Alors forcément, il ne voit que la partie la plus sexy des vacances de ses potes : celle qu'ils lui montrent. Du coup, il a parfois l'impression de moins bien réussir ses vacances. Bien sûr, on exagère un peu, et on a tous du recul sur la vie “idéalisée” qu’on projette sur les réseaux. Mais la course aux posts Facebook ou Instagram existe bel et bien, et elle est symptomatique d’une conception particulière des vacances… qui a aussi été encouragée par l'invention du tourisme.
B - Le syndrome de la checklist
L’Antiquité, on appelle souvent ça “l’âge d’or”. Il y a plusieurs raisons, mais c’est particulièrement vrai pour ce qui concerne les vacances. A Rome, les vacances constituaient l’état normal, et le travail, l’exception. Le négotium (qui désignait les “affaires”, le travail, quoi) était la négation de l’otium, c’est-à-dire le temps libre. Et ce temps libre, les hommes de qualité l’occupaient en méditant ou en s’occupant de la politique de la cité.
Depuis, notamment avec la révolution industrielle, on a un peu perdu le goût du temps libre : les vacances avaient presque totalement disparu pour la majorité des Français, qui consacraient jusqu’à 70 % de leur vie éveillée au travail (selon le numéro spécial du journal Le Un sur les vacances, qu’on vous recommande vivement). Alors quand, au vingtième siècle, Le Front Populaire a créé les premiers congés payés, une question s’est vite posée : des vacances ? Mais pour quoi faire ?
1 - Les premières vacances
Cinq semaines des vacances, ça vous paraît court ? Et pourtant, ça ne fait pas si longtemps qu’on y a droit. Voici un petit rappel de l’histoire des congés payés :
Avant ça ? Il y avait le dimanche, traditionnellement chômé depuis que Dieu lui-même, dans la tradition catholique, a décidé de piquer un roupillon le 7e jour de la création.
Au début, personne ne savait quoi faire de ses vacances. Les premiers à bénéficier d’une semaine off appelait ça “la semaine des 7 dimanches”... et, comme l’explique Jean Viard, sociologue spécialiste des vacances, ils la passaient à faire 7 fois la même chose…
Sympa, mais… un peu lassant. Alors, pour occuper les gens pendant les congés, on a inventé un nouveau truc : le tourisme.
2 - Le syndrome de la checklist
Le tourisme, ça a d’abord eu plusieurs conséquences très concrètes. La première ? Une nette dégradation du style vestimentaire des hollandais.
Mais pas seulement. Avec l'augmentation du nombre de vacanciers, on a créé des autoroutes, des hôtels, des loisirs, et même des villes entières. Pour se repérer parmi cette immense champ de possibilités nouvelles, des petits malins ont vu une opportunité : créer des guides touristiques. Et aujourd’hui, on n'imagine même plus partir quelque part sans lui.
Mais en nous donnant une vision extrêmement large de tout ce qu’il est possible de faire quelque part, ces guides renversent l’idée du voyage. Les voyageurs d’autrefois avaient le sentiment de toujours découvrir quelque chose. Aujourd'hui, on a plutôt la peur de rater quelque chose qui était dans le guide mais où on n'a finalement pas pu aller. C’est le syndrome de la checklist : avec un guide sous la main, on part pour cocher des cases ou prendre nous-mêmes des photos qu’on y a vues.
Mais pourtant, passer ses vacances à cocher des cases, ce n'est pas forcément ce qui vous rendra le plus heureux.
II / COMMENT REUSSIR SES VACANCES ?
Pour savoir comment réussir ses vacances, on a fait appel à Daniel Kahneman. Lui, c'est un psychologue de formation plutôt balaise : il a reçu un prix Nobel d’économie pour ses travaux. Sa spécialité, ce sont les biais cognitifs : c'est-à-dire tous les mécanismes qui contribuent à déformer notre jugement… et notamment notre perception des vacances.
A - La loi du pic et de la fin
Avant de revenir aux vacances, on va commencer par un sujet un peu moins glamour : un examen médical pas très agréable (plus de précisions ici). Pour cette expérience, Daniel Kahneman explique dans cette conférence Ted avoir demandé à des patients d’évaluer en permanence leur niveau de souffrance. Et voilà ce que ça donnait :
A votre avis, lequel a dit avoir le plus souffert ?
...
Eh bien, c'est de loin le patient A.
Pourtant, son examen a duré moins longtemps, et à aucun moment il n'a significativement plus souffert que le patient B. Mais sa perception est liée à ce que Kahneman appelle la loi du pic et de la fin. Pour juger une expérience passée, on a tendance à surévaluer deux moments principaux : le pic d’intensité, et le dernier moment.
Pour comprendre l’impact que ça peut avoir sur les vacances, voilà deux personnages que vous connaissez sûrement : D’un côté, Baloo, l'ours. Lui, ce qu’il adore, c’est profiter du moment. Il est à fond dans l’instant présent, il ne pense pas trop au passé, ni à l’avenir. A côté, on a Bagheera, la panthère. Lui, c’est l’inverse : un cérébral qui aime se projeter, anticiper, tirer les leçons du passé… C’est quelqu’un qui essaie au maximum de s’extraire du présent.
Un jour, Baloo et Bagheera sont dans la jungle. Il fait chaud, mais pas trop. Il y a un peu de vent, mais juste ce qu’il faut. Bref, c’est le temps idéal pour une balade sous les frondaisons. Ils discutent en chemin, cueillent des fruits en profitant du moment. Mais, vers la fin de la journée, le temps commence à se couvrir. Un orage éclate, des trombes d’eau s’abattent sur eux. Ils sont trempés jusqu’aux os.
Baloo et Bagheera se sont baladés ensemble. Ils ont vécu la même expérience. Pourtant, ils ne vont pas la percevoir de la même manière. C’est que Baloo et Bagheera incarnent deux comportements complètement opposés. Pour les situer sur un graphique, ça donne ça :
Baloo incarne l’experiencing self. Lui, il est tout entier focalisé sur le moment présent, sur l’expérience. Bagheera, lui, c’est le remembering self. Il évalue ses expériences a posteriori. Et il est donc complètement dépendant de la loi du pic et de la fin, sans prendre en compte les moments les moins importants.
Pour résumer : il oublie le normal.
B - Vivre ou se souvenir, pourquoi il ne faut pas choisir
Le rapport avec les vacances ? Il est assez évident.
Comme Tanguy tout à l’heure, on a tous tendance à juger nos expériences à partir de la loi du pic et de la fin : on restera marqué par le moment qui a la plus haute intensité émotionnelle et par la fin de ses vacances, au détriment de tous les autres moments. Par exemple, si on vit des vacances assez classiques mais qu'à un moment donné, on est invité chez l'habitant pour une fête incroyable, on aura tout de même tendance à garder un excellent souvenir de sa semaine. Inutile donc de chercher à cocher des cases pour tout voir jusqu'à épuisement, il faut juste se focaliser sur une ou deux expériences vraiment mémorables.
Personne n’est soit Baloo, soit Bagheera. Non, on est tous un peu des deux en même temps… mais pas dans les mêmes proportions :
Selon nos personnalités, on a tendance à privilégier soit les expériences marquantes, soit au contraire, à vouloir absolument lézarder. Le secret pour réussir ses vacances, c’est d’aller contre son penchant naturel et de chercher à s’équilibrer. De penser contre soi.
Vous êtes plutôt Bagheera ? Vous, vous avez le syndrôme de la checklist... et vous risquez d'oublier le moment présent. Du coup, vous avez sans doute prévu dix mille trucs pour vos vacances et vous allez (encore) revenir crevé. Ce dont vous avez besoin, c’est de quelques conseils pour glander en beauté.
Vous êtes plutôt Baloo ? Vous n’avez qu’une envie : vous reposer. Mais quand même, une fois rentré, si vous n'avez à aucun moment à un pic émotionnel, vous risquez de ne pas avoir créé beaucoup de souvenirs et de garder en mémoire des vacances assez moyennes.
Alors voilà quelques idées pour flatter les Baloo et les Bagheeras qui se cachent forcément en vous...
1- Vous êtes plutôt Bagheera ? Centrez-vous le moment présent comme Baloo.
Ayez une not to do list
Une to-do list, c’est la liste des choses à ne pas faire. Une not-to-do list, c’est la liste des choses à ne surtout pas faire. En vacances, il y a plein : checker ses mails pro, mettre des chaussettes, prendre un espresso bien serré, se raser tous les jours... Une bonne not-to-do list, c'est celle de l’application Hook ici.
Partez dans un endroit que vous connaissez déjà
50 % des vacanciers se baignent chaque année dans la même mer. Retournez dans un endroit que vous connaissez déjà. Vous verrez : la routine, ça fait du bien.
Modérez vos attentes
On le disait dans l’intro : se réjouir à l’avance de nos vacances, on ne peut pas s’en empêcher. Mais anticiper, c’est aussi prendre le risque d’avoir des attentes trop élevées… Et vous ne voulez pas finir comme ces touristes japonais qui, chaque année, tombe en dépression nerveuse quand ils confrontent leur Paris idéal à la réalité de la ville... (ce qu'on appelle le syndrome de Stendhal). Trouvez le type d’oisiveté qui vous convient
Pour certains, ça va être de buller autour d’une piscine. Pour d’autres, préparer à manger pendant des heures. Ou passer l’après-midi à jouer à la pétanque. Il y a forcément un type de farniente qui vous convient, même si vous êtes un hyper-agité.
Allez marcher dans la nature
Pourquoi est-ce que c’est si reposant d’être dans la nature ? Selon cette étude de Stanford, le cerveau humain est câblé pour analyser tous les objets manufacturés, c’est-à-dire qui ont été fabriqués par l’homme. Du coup, en ville, le cerveau bosse tout le temps. Mais dans la nature... il déconnecte.
Prenez une carte, pas un guide
Oubliez la pression du must-see ou le Top 5 des choses à voir. Prenez une carte plutôt qu’un guide et baladez-vous en demandant votre chemin aux gens que vous rencontrerez. Ou lisez L’Usage du Monde de Nicolas Bouvier : rien que le titre suffit à nous expliquer que si le monde est là, ben… c’est pour s’en servir.
2- Vous êtes plutôt Baloo, prévoyez des highlights comme Bagheera
Planifiez
Le risque des vacances, c’est de se laisser emporter par l’instant présent… et d’arriver au dernier jour sans avoir bougé de son transat. Alors prenez-vous deux heures pendant lequel vous allez prévoir et organiser les activités dont vous vous souviendrez.
Prenez l’initiative
Vous êtes en vacances avec des potes, tout le monde fait sa loque au bord de la piscine ? Motivez vos potes pour aller louer des kayaks et aller faire un tour sur le lac d’à côté. Ça va devenir LE souvenir de votre été.
Partez avec un nouveau groupe de potes
Et si, pour une fois, vous vous décidiez à suivre votre pote qui se motive toujours pour des projets de fous ? Essayez, pour voir.
Imposez-vous une règle
Ça peut être de traverser un océan à chaque vacances. Ou de partir à au moins 2000 kilomètres. Ou d’aller au moins dans un endroit que vous ne connaissez pas dans ce petit village que vous pensez connaître par coeur. Peu importe la règle, aussi bizarre soit-elle : essayez juste de découvrir un truc nouveau.
Organisez une grosse teuf de fin de vacances
C'est LA leçon du remembering self : finir son séjour sur un moment fort pour marquer le coup.
--------
Bagheera, Baloo... On ne sait pas de quel côté vous vous situez. Mais quoi qu'il en soit, l'importance de cette théorie et de la petite mise en application concrète qu'on vous propose, c'est de ne pas simplement utiliser vos vacances pour vous éclater ou vous reposer. Mais d'y voir une opportunité de devenir un peu quelqu'un d'autre. De tester l'oisiveté quand on rêve d'hyper-activité. De se lancer dans des projets même si vous êtes vraiment très tentés par une bonne cure de farniente. Bref, de rester vous-mêmes, mais de repousser vos limites pour encore mieux vous connaître.
Temps de lecture : 10 minutes.
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Non mais c’est bon, on vous a vus. Pas la peine de nier. Pour tout vous dire, on est un peu pareil : tout frétillants d’impatience à l’idée de partir en vacances.
Quoi, vous ne sentez pas cette excitation monter ? Ça y est, ça se précise, à la fin de cette semaine (ou de la suivante), vous y serez. On vous y voit déjà : zoom sur vos doigts de pied en éventail au bord de la piscine/Méditerranée/cascade de montagne dans le Jura près de chez Mémé.
Vous n’y êtes pas encore, et pourtant : vous kiffez déjà.
Vous savez quoi ? Profitez-en bien. Parce que la courbe du kif d’un vacancier ressemble à ça. Et le moment le plus sympa n’est vraiment pas celui auquel on pense…
A votre avis, à quoi correspondent les points suivants ?
Courbe de niveau de bonheur d'un vacancier
Vous vous dites sans doute que A = préparation, B = départ, C = climax des vacances, D = retour. Ça paraîtrait logique. Et pourtant, pas du tout. Selon cette étude néerlandaise, le moment où un vacancier est le plus heureux, ce serait bien avant son départ. Les vacances, on y pense toute l'année. En plus de nos cinq semaines annuelles, on en profite des mois à l'avance, par anticipation... tellement on a hâte de partir. On en parle avec nos potes, nos collègues. Ça nous aide à nous projeter à moyen terme, pour les trois ou six prochains mois. Pratique quand c’est un peu dur au boulot.
Mais la conséquence, c'est aussi qu’on se met de plus en plus de pression... pour les réussir.
I / LES VACANCES OU LA COURSE AUX SOUVENIRS
A - La concurrence des vacances
Jetez un oeil à vos comptes Facebook ou Instagram : même quand on bosse, on fait semblant d’être en vacances.
Apéro sur la plage, pornfood et dîner romantique
Alors qu’un Instagram un peu fidèle ressemblerait plutôt à ça :
Café à la machine, choucroute à la cantine et point avec son boss
47 semaines de boulot pour 5 de vacances, c’est sûr que ça ne fait pas beaucoup. Alors quand on part, on a envie d’en profiter à fond. Et surtout... plus que les autres.
Un peu comme Tanguy. Cet été, Tanguy est parti en juillet, il vient de revenir. Avant son départ, il était serein : il s’était concocté un petit programme bien sympa. Et quand on regarde la courbe de kif de ses vacances, elle est plutôt cool :
Pendant ses deux semaines, il s’est même fait deux très, très gros kifs : un saut en parapente à la montagne et une plongée en bouteille en Egypte - deux moments géniaux. Il en a évidemment profité pour faire deux posts Instagram. Le truc, c’est que Julien et Adèle, ses deux potes, sont partis en même temps que lui. Et eux aussi, ils ont profité de l’été pour bombarder sur Instagram... Tanguy, lui, n’a pas pu s’empêcher de se comparer. Il n’y peut rien, c’est comme ça que fonctionne sa génération (ainsi que l’explique Tim Urban dans cet article génial). Il sait que, en dehors de ses deux moments de gros kif, il a passé des vacances cool, mais sans plus. Alors forcément, il ne voit que la partie la plus sexy des vacances de ses potes : celle qu'ils lui montrent. Du coup, il a parfois l'impression de moins bien réussir ses vacances. Bien sûr, on exagère un peu, et on a tous du recul sur la vie “idéalisée” qu’on projette sur les réseaux. Mais la course aux posts Facebook ou Instagram existe bel et bien, et elle est symptomatique d’une conception particulière des vacances… qui a aussi été encouragée par l'invention du tourisme.
B - Le syndrome de la checklist
L’Antiquité, on appelle souvent ça “l’âge d’or”. Il y a plusieurs raisons, mais c’est particulièrement vrai pour ce qui concerne les vacances. A Rome, les vacances constituaient l’état normal, et le travail, l’exception. Le négotium (qui désignait les “affaires”, le travail, quoi) était la négation de l’otium, c’est-à-dire le temps libre. Et ce temps libre, les hommes de qualité l’occupaient en méditant ou en s’occupant de la politique de la cité.
Depuis, notamment avec la révolution industrielle, on a un peu perdu le goût du temps libre : les vacances avaient presque totalement disparu pour la majorité des Français, qui consacraient jusqu’à 70 % de leur vie éveillée au travail (selon le numéro spécial du journal Le Un sur les vacances, qu’on vous recommande vivement). Alors quand, au vingtième siècle, Le Front Populaire a créé les premiers congés payés, une question s’est vite posée : des vacances ? Mais pour quoi faire ?
1 - Les premières vacances
Cinq semaines des vacances, ça vous paraît court ? Et pourtant, ça ne fait pas si longtemps qu’on y a droit. Voici un petit rappel de l’histoire des congés payés :
Stairway to holidays
Avant ça ? Il y avait le dimanche, traditionnellement chômé depuis que Dieu lui-même, dans la tradition catholique, a décidé de piquer un roupillon le 7e jour de la création.
Au début, personne ne savait quoi faire de ses vacances. Les premiers à bénéficier d’une semaine off appelait ça “la semaine des 7 dimanches”... et, comme l’explique Jean Viard, sociologue spécialiste des vacances, ils la passaient à faire 7 fois la même chose…
Sympa, mais… un peu lassant. Alors, pour occuper les gens pendant les congés, on a inventé un nouveau truc : le tourisme.
2 - Le syndrome de la checklist
Le tourisme, ça a d’abord eu plusieurs conséquences très concrètes. La première ? Une nette dégradation du style vestimentaire des hollandais.
Mais pas seulement. Avec l'augmentation du nombre de vacanciers, on a créé des autoroutes, des hôtels, des loisirs, et même des villes entières. Pour se repérer parmi cette immense champ de possibilités nouvelles, des petits malins ont vu une opportunité : créer des guides touristiques. Et aujourd’hui, on n'imagine même plus partir quelque part sans lui.
Mais en nous donnant une vision extrêmement large de tout ce qu’il est possible de faire quelque part, ces guides renversent l’idée du voyage. Les voyageurs d’autrefois avaient le sentiment de toujours découvrir quelque chose. Aujourd'hui, on a plutôt la peur de rater quelque chose qui était dans le guide mais où on n'a finalement pas pu aller. C’est le syndrome de la checklist : avec un guide sous la main, on part pour cocher des cases ou prendre nous-mêmes des photos qu’on y a vues.
Mais pourtant, passer ses vacances à cocher des cases, ce n'est pas forcément ce qui vous rendra le plus heureux.
II / COMMENT REUSSIR SES VACANCES ?
Pour savoir comment réussir ses vacances, on a fait appel à Daniel Kahneman. Lui, c'est un psychologue de formation plutôt balaise : il a reçu un prix Nobel d’économie pour ses travaux. Sa spécialité, ce sont les biais cognitifs : c'est-à-dire tous les mécanismes qui contribuent à déformer notre jugement… et notamment notre perception des vacances.
A - La loi du pic et de la fin
Avant de revenir aux vacances, on va commencer par un sujet un peu moins glamour : un examen médical pas très agréable (plus de précisions ici). Pour cette expérience, Daniel Kahneman explique dans cette conférence Ted avoir demandé à des patients d’évaluer en permanence leur niveau de souffrance. Et voilà ce que ça donnait :
A votre avis, lequel a dit avoir le plus souffert ?
...
Eh bien, c'est de loin le patient A.
Pourtant, son examen a duré moins longtemps, et à aucun moment il n'a significativement plus souffert que le patient B. Mais sa perception est liée à ce que Kahneman appelle la loi du pic et de la fin. Pour juger une expérience passée, on a tendance à surévaluer deux moments principaux : le pic d’intensité, et le dernier moment.
Pour comprendre l’impact que ça peut avoir sur les vacances, voilà deux personnages que vous connaissez sûrement : D’un côté, Baloo, l'ours. Lui, ce qu’il adore, c’est profiter du moment. Il est à fond dans l’instant présent, il ne pense pas trop au passé, ni à l’avenir. A côté, on a Bagheera, la panthère. Lui, c’est l’inverse : un cérébral qui aime se projeter, anticiper, tirer les leçons du passé… C’est quelqu’un qui essaie au maximum de s’extraire du présent.
Un jour, Baloo et Bagheera sont dans la jungle. Il fait chaud, mais pas trop. Il y a un peu de vent, mais juste ce qu’il faut. Bref, c’est le temps idéal pour une balade sous les frondaisons. Ils discutent en chemin, cueillent des fruits en profitant du moment. Mais, vers la fin de la journée, le temps commence à se couvrir. Un orage éclate, des trombes d’eau s’abattent sur eux. Ils sont trempés jusqu’aux os.
Baloo et Bagheera se sont baladés ensemble. Ils ont vécu la même expérience. Pourtant, ils ne vont pas la percevoir de la même manière. C’est que Baloo et Bagheera incarnent deux comportements complètement opposés. Pour les situer sur un graphique, ça donne ça :
Zone blanche (Baloo) = experiencing self
Zone verte (Bagheera) = remembering self
Zone verte (Bagheera) = remembering self
Baloo incarne l’experiencing self. Lui, il est tout entier focalisé sur le moment présent, sur l’expérience. Bagheera, lui, c’est le remembering self. Il évalue ses expériences a posteriori. Et il est donc complètement dépendant de la loi du pic et de la fin, sans prendre en compte les moments les moins importants.
Pour résumer : il oublie le normal.
B - Vivre ou se souvenir, pourquoi il ne faut pas choisir
Le rapport avec les vacances ? Il est assez évident.
Comme Tanguy tout à l’heure, on a tous tendance à juger nos expériences à partir de la loi du pic et de la fin : on restera marqué par le moment qui a la plus haute intensité émotionnelle et par la fin de ses vacances, au détriment de tous les autres moments. Par exemple, si on vit des vacances assez classiques mais qu'à un moment donné, on est invité chez l'habitant pour une fête incroyable, on aura tout de même tendance à garder un excellent souvenir de sa semaine. Inutile donc de chercher à cocher des cases pour tout voir jusqu'à épuisement, il faut juste se focaliser sur une ou deux expériences vraiment mémorables.
Personne n’est soit Baloo, soit Bagheera. Non, on est tous un peu des deux en même temps… mais pas dans les mêmes proportions :
Selon nos personnalités, on a tendance à privilégier soit les expériences marquantes, soit au contraire, à vouloir absolument lézarder. Le secret pour réussir ses vacances, c’est d’aller contre son penchant naturel et de chercher à s’équilibrer. De penser contre soi.
Vous êtes plutôt Bagheera ? Vous, vous avez le syndrôme de la checklist... et vous risquez d'oublier le moment présent. Du coup, vous avez sans doute prévu dix mille trucs pour vos vacances et vous allez (encore) revenir crevé. Ce dont vous avez besoin, c’est de quelques conseils pour glander en beauté.
Vous êtes plutôt Baloo ? Vous n’avez qu’une envie : vous reposer. Mais quand même, une fois rentré, si vous n'avez à aucun moment à un pic émotionnel, vous risquez de ne pas avoir créé beaucoup de souvenirs et de garder en mémoire des vacances assez moyennes.
Alors voilà quelques idées pour flatter les Baloo et les Bagheeras qui se cachent forcément en vous...
1- Vous êtes plutôt Bagheera ? Centrez-vous le moment présent comme Baloo.
Ayez une not to do list
Une to-do list, c’est la liste des choses à ne pas faire. Une not-to-do list, c’est la liste des choses à ne surtout pas faire. En vacances, il y a plein : checker ses mails pro, mettre des chaussettes, prendre un espresso bien serré, se raser tous les jours... Une bonne not-to-do list, c'est celle de l’application Hook ici.
Partez dans un endroit que vous connaissez déjà
50 % des vacanciers se baignent chaque année dans la même mer. Retournez dans un endroit que vous connaissez déjà. Vous verrez : la routine, ça fait du bien.
Modérez vos attentes
On le disait dans l’intro : se réjouir à l’avance de nos vacances, on ne peut pas s’en empêcher. Mais anticiper, c’est aussi prendre le risque d’avoir des attentes trop élevées… Et vous ne voulez pas finir comme ces touristes japonais qui, chaque année, tombe en dépression nerveuse quand ils confrontent leur Paris idéal à la réalité de la ville... (ce qu'on appelle le syndrome de Stendhal). Trouvez le type d’oisiveté qui vous convient
Pour certains, ça va être de buller autour d’une piscine. Pour d’autres, préparer à manger pendant des heures. Ou passer l’après-midi à jouer à la pétanque. Il y a forcément un type de farniente qui vous convient, même si vous êtes un hyper-agité.
Allez marcher dans la nature
Pourquoi est-ce que c’est si reposant d’être dans la nature ? Selon cette étude de Stanford, le cerveau humain est câblé pour analyser tous les objets manufacturés, c’est-à-dire qui ont été fabriqués par l’homme. Du coup, en ville, le cerveau bosse tout le temps. Mais dans la nature... il déconnecte.
Prenez une carte, pas un guide
Oubliez la pression du must-see ou le Top 5 des choses à voir. Prenez une carte plutôt qu’un guide et baladez-vous en demandant votre chemin aux gens que vous rencontrerez. Ou lisez L’Usage du Monde de Nicolas Bouvier : rien que le titre suffit à nous expliquer que si le monde est là, ben… c’est pour s’en servir.
2- Vous êtes plutôt Baloo, prévoyez des highlights comme Bagheera
Planifiez
Le risque des vacances, c’est de se laisser emporter par l’instant présent… et d’arriver au dernier jour sans avoir bougé de son transat. Alors prenez-vous deux heures pendant lequel vous allez prévoir et organiser les activités dont vous vous souviendrez.
Prenez l’initiative
Vous êtes en vacances avec des potes, tout le monde fait sa loque au bord de la piscine ? Motivez vos potes pour aller louer des kayaks et aller faire un tour sur le lac d’à côté. Ça va devenir LE souvenir de votre été.
Partez avec un nouveau groupe de potes
Et si, pour une fois, vous vous décidiez à suivre votre pote qui se motive toujours pour des projets de fous ? Essayez, pour voir.
Imposez-vous une règle
Ça peut être de traverser un océan à chaque vacances. Ou de partir à au moins 2000 kilomètres. Ou d’aller au moins dans un endroit que vous ne connaissez pas dans ce petit village que vous pensez connaître par coeur. Peu importe la règle, aussi bizarre soit-elle : essayez juste de découvrir un truc nouveau.
Organisez une grosse teuf de fin de vacances
C'est LA leçon du remembering self : finir son séjour sur un moment fort pour marquer le coup.
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Bagheera, Baloo... On ne sait pas de quel côté vous vous situez. Mais quoi qu'il en soit, l'importance de cette théorie et de la petite mise en application concrète qu'on vous propose, c'est de ne pas simplement utiliser vos vacances pour vous éclater ou vous reposer. Mais d'y voir une opportunité de devenir un peu quelqu'un d'autre. De tester l'oisiveté quand on rêve d'hyper-activité. De se lancer dans des projets même si vous êtes vraiment très tentés par une bonne cure de farniente. Bref, de rester vous-mêmes, mais de repousser vos limites pour encore mieux vous connaître.
Profitez de votre été pour revenir changé.