L'Effet Jumelles
Pourquoi on perd de vue l'essentiel
12-05-2020
L’avantage des jumelles ? C’est qu’elles permettent de mieux voir ce qu’on observe à travers elles. L’inconvénient ? C’est qu’elles nous empêchent de voir tout le reste... L’Effet Jumelles, ça consiste à démultiplier l’importance de certains problèmes au détriment du reste. Aujourd’hui, nos sociétés ultra-technicisées et outillées adorent se balader avec des jumelles sur le nez. Puis un beau jour, une pandémie arrive. Et nous oblige, l’espace de quelques semaines, à les poser.
L’effet Jumelles ou pourquoi on perd de vue l’essentiel, c’est notre nouveau mini-Topo.
Temps de lecture : 5 minutes
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Lui, c’était vraiment la star des premières semaines de confinement.
Mais là, quand même. On parle d'un objet a priori nettement moins désirable. Comment est-ce qu'un truc qui était juste un achat embarrassant au supermarché a pu devenir, du jour au lendemain, un produit hyper demandé ?
Pour le comprendre, il faut revenir à avant la pandémie. À cette époque où on avait encore de grands problèmes, type :
Ces questions sont évidemment importantes. Pour nous, ce sont souvent des montagnes.
Et puis la pandémie est arrivée. Pour les générations commes les nôtres, qui n’ont connu que des périodes d’abondance et de sécurité, ça a été l’occasion de se rappeler (si on l'avait oublié) que ces questions n’étaient que la partie émergée des vrais problèmes de l’humanité.
Cette montagne, c’est en fait la pyramide des besoins humains, imaginée en 1943 et affinée en 1970 par le psychologue Abraham Maslow.
Pyramide des besoins d'Abraham Maslow
Comme le montrait Norbert Elias dans La Civilisation des Moeurs, le processus de civilisation est un processus de raffinement : une fois les besoins essentiels satisfaits, on les délaisse au profit des besoins accessoires… qui peuvent rapidement prendre une importance démesurée.
C’est un peu ce qu’expliquait Tocqueville (qu’on avait déjà cité dans ce Topo) dans De la démocratie en Amérique :
-un détournement de l’essentiel
Plus personne ne se fiche de Mamie, maintenant…
Le détournement de l’essentiel, c’est une sorte de malédiction humaine. Comme disait Oscar Wilde :
Ce que ce graph montre ? Que, jusqu’à 75 000 dollars annuels, l’argent fait le bonheur (ou en tout cas : il y contribue positivement). Mais au-delà de cette limite, chaque dollar supplémentaire impacte de moins en moins votre niveau de bonheur. Et au-delà de 200 000 dollars annuels, les dollars gagnés en plus ne font aucune différence.
Pendant quelques semaines, avec le confinement, le superflu n’était plus disponible - et encore, dans des proportions minimes par rapport à ce que vivent au quotidien des milliards d'invidus sur la planète. Et si on profitait de l’expérience accumulée pendant ces quelques semaines pour, définitivement, détacher notre regard de ce superflu ? Si on abordait les prochains mois et les prochaines semaines avec un champ de vision enfin élargi ? Si on laissait enfin tomber ces jumelles qui rétrécissent notre champ de vision et nous détournent de l'essentiel ?
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Vous n'avez pas pu le rater : en fin d'année passée, on a sorti les Topos en livre ! Si vous n'avez pas encore votre exemplaire, vous pouvez le commander à la Fnac.
L’effet Jumelles ou pourquoi on perd de vue l’essentiel, c’est notre nouveau mini-Topo.
Temps de lecture : 5 minutes
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Lui, c’était vraiment la star des premières semaines de confinement.
Dans l’histoire économique, il y a déjà eu plein d’exemples de ruées vers des produits plus ou moins attendus.
Pour le comprendre, il faut revenir à avant la pandémie. À cette époque où on avait encore de grands problèmes, type :
Ces questions sont évidemment importantes. Pour nous, ce sont souvent des montagnes.
Montagne des grandes questions pré-pandémie
Et puis la pandémie est arrivée. Pour les générations commes les nôtres, qui n’ont connu que des périodes d’abondance et de sécurité, ça a été l’occasion de se rappeler (si on l'avait oublié) que ces questions n’étaient que la partie émergée des vrais problèmes de l’humanité.
Montagne des grandes questions post-pandémie
Cette montagne, c’est en fait la pyramide des besoins humains, imaginée en 1943 et affinée en 1970 par le psychologue Abraham Maslow.
Pyramide des besoins d'Abraham Maslow
Avec cette pyramide, Maslow a tenté de définir une hiérarchie des besoins humains. Il distingue 5 niveaux, de bas en haut.
1 - Les besoins physiologiques (santé, alimentation)
2 - Les besoins de sécurité (environnement serein et apaisé)
3 - Les besoins d'appartenance (intégration sociale, famille, amis)
4 - Les besoins d'estime (reconnaissance par la communauté)
5 - Les besoins d'accomplissement (fierté professionnelle)
Tout en bas ? On retrouve ce fameux papier toilette - a.k.a ces besoins physiologiques dont, pendant quelques semaines, on a craint qu'ils ne soient plus satisfaits…
Sans les besoins socle, à la base de la pyramide, il n'est pas de bonheur possible. Les besoins du haut de la pyramide concernent surtout les individus pour qui la satisfaction des besoins primordiaux est acquise.
La pandémie nous aura au moins rendu ce service : elle nous aura rappelé que, la plupart du temps, dans nos civilisations occidentales, on ne considère que le haut de la pyramide. On se focalise tellement sur ce qui va mal qu'on en oublie tout ce qui va bien.
1 - Les besoins physiologiques (santé, alimentation)
2 - Les besoins de sécurité (environnement serein et apaisé)
3 - Les besoins d'appartenance (intégration sociale, famille, amis)
4 - Les besoins d'estime (reconnaissance par la communauté)
5 - Les besoins d'accomplissement (fierté professionnelle)
Tout en bas ? On retrouve ce fameux papier toilette - a.k.a ces besoins physiologiques dont, pendant quelques semaines, on a craint qu'ils ne soient plus satisfaits…
Sans les besoins socle, à la base de la pyramide, il n'est pas de bonheur possible. Les besoins du haut de la pyramide concernent surtout les individus pour qui la satisfaction des besoins primordiaux est acquise.
La pandémie nous aura au moins rendu ce service : elle nous aura rappelé que, la plupart du temps, dans nos civilisations occidentales, on ne considère que le haut de la pyramide. On se focalise tellement sur ce qui va mal qu'on en oublie tout ce qui va bien.
C'est normal : vivre dans une civilisation occidentale, c’est prendre plein de choses pour acquis :
Bien sûr, rien n’est magique. Derrière ces “acquis”, il y a des infrastructures, des technologies, parfois aussi une forme d’exploitation sociale. Pour la première fois, ces “acquis” ne le sont plus. Avec la pandémie, la civilisation s’est enrayée, et c’est le moment de mesurer à nouveau toute leur importance.
Comme le montrait Norbert Elias dans La Civilisation des Moeurs, le processus de civilisation est un processus de raffinement : une fois les besoins essentiels satisfaits, on les délaisse au profit des besoins accessoires… qui peuvent rapidement prendre une importance démesurée.
C’est un peu ce qu’expliquait Tocqueville (qu’on avait déjà cité dans ce Topo) dans De la démocratie en Amérique :
Cette forme de relativisme, appliqué à la question des besoins, donnerait quelque chose qui explique assez bien l’apogée de notre société de consommation :
En fait, plus les civilisations progressent, plus elles se détournent de l’essentiel… et accordent une importance démesurée à des détails insignifiants. Par deux effets :
- un effet loupe, ou effet jumelles : rétrécir son champ de vision, ça revient mécaniquement à grossir la taille des problèmes.
- un effet loupe, ou effet jumelles : rétrécir son champ de vision, ça revient mécaniquement à grossir la taille des problèmes.
-un détournement de l’essentiel
Plus personne ne se fiche de Mamie, maintenant…
Le détournement de l’essentiel, c’est une sorte de malédiction humaine. Comme disait Oscar Wilde :
C’est aussi ce qui fait qu’on en veut toujours plus. Et pourtant, plus, c’est rarement mieux. Pour s’en rendre compte, faisons un petit exercice. Vous vous rappelez, quand vous avez eu votre premier iPhone ? Le niveau d’excitation que ça vous a procuré ? Et maintenant, comparez ça avec le dernier téléphone que vous ayez acheté. A priori, la courbe devrait donner ça :
C’est la même chose avec les paquets de gâteaux : le premier est super bon, mais au bout du 12e, on frôle l’indigestion… et surtout : le bonheur qu’on retire pour chaque unité supplémentaire consommée diminue. Ça, c’est ce que les économistes appellent…
… ou la traduction économique de plus n'est pas mieux. C'est aussi ce que Loom, la marque de fringues responsable, a expliqué dans un super article intitulé Pourquoi il faut renoncer au confort marginal, soit tous ces besoins auxquels on accorde une importance démesurée.
Et vous savez quoi ? Ça marche même avec l’argent. C’est ce que Daniel Kahneman a montré en 2010 avec cette étude géniale de l’université de Columbia pour essayer de répondre à LA question : l’argent rend-il vraiment heureux ? Réponse de l'étude ? Oui… mais seulement jusqu'à un certain seuil.
Et vous savez quoi ? Ça marche même avec l’argent. C’est ce que Daniel Kahneman a montré en 2010 avec cette étude géniale de l’université de Columbia pour essayer de répondre à LA question : l’argent rend-il vraiment heureux ? Réponse de l'étude ? Oui… mais seulement jusqu'à un certain seuil.
Ce que ce graph montre ? Que, jusqu’à 75 000 dollars annuels, l’argent fait le bonheur (ou en tout cas : il y contribue positivement). Mais au-delà de cette limite, chaque dollar supplémentaire impacte de moins en moins votre niveau de bonheur. Et au-delà de 200 000 dollars annuels, les dollars gagnés en plus ne font aucune différence.
Pendant quelques semaines, avec le confinement, le superflu n’était plus disponible - et encore, dans des proportions minimes par rapport à ce que vivent au quotidien des milliards d'invidus sur la planète. Et si on profitait de l’expérience accumulée pendant ces quelques semaines pour, définitivement, détacher notre regard de ce superflu ? Si on abordait les prochains mois et les prochaines semaines avec un champ de vision enfin élargi ? Si on laissait enfin tomber ces jumelles qui rétrécissent notre champ de vision et nous détournent de l'essentiel ?
Et rappelons-nous une chose : la taille de nos problèmes dépend uniquement de l'importance qu'on leur accorde.
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Vous n'avez pas pu le rater : en fin d'année passée, on a sorti les Topos en livre ! Si vous n'avez pas encore votre exemplaire, vous pouvez le commander à la Fnac.