Le mythe du paquet de bonbons infini

Le mythe du paquet de bonbons infini

Pourquoi il faut changer notre alimentation

Imaginez. Posé sur votre bureau, juste à côté de vous : un paquet de bonbons infini. Vous pouvez en manger autant que vous voulez, sans même avoir faim… il sera toujours plein. Evidemment, ce fameux paquet de bonbons n'existe pas. Et pourtant, tous les jours, dans notre façon de manger, on se comporte comme si c'était le cas... "Le Mythe du paquet de bonbons infini", c'est notre nouveau Topo. 

Temps de lecture : 16 minutes

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12h01. Ce matin, au bureau de Stéphane, un drame se prépare.

Pour l’instant encore, tout va bien. Stéphane est devant son ordi, concentré, en train de répondre à un mail hyper important. Il fonce tout droit, sans se poser de question - en mode autoroute.

Sauf que Stéphane est atteint d’un syndrome très spécial : la malédiction de 12h04. Et d’ailleurs, le moment crucial approche. Comme tous les jours, à la même heure, sa matinée va basculer. Il aura beau essayer, il ne pourra juste plus se concentrer...

Parce que 12h04, c’est l’heure où Stéphane commence à avoir faim.

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La faim, c’est une sensation qu’on éprouve plusieurs fois par jour. Et à laquelle on répond en général d’une manière très simple - en mangeant. Pour deux raisons : 1, on déteste avoir faim, et 2, on adore manger.

Et aujourd’hui, on aurait tort de s’en priver : manger n’a jamais été aussi facile. En 10 minutes, on peut se faire livrer un super burger homemade ou même un bento trop bon. En fait, dans notre rapport à l’alimentation, on se comporte un peu comme si on avait devant nous un paquet de bonbons infini : on pioche à volonté, sans trop se poser de questions...

Pour ce Topo, on a voulu prendre du recul sur notre rapport à la nourriture. D’où viennent nos habitudes alimentaires ? Pourquoi mange-t-on ce qu’on mange ? Et surtout, est-ce qu’on peut vraiment continuer comme ça ?

On a lu plein (mais vraiment plein) d’études sur le sujet. Et on s’est rapidement aperçu d’un truc.

Il allait falloir commencer par la faim.


I/ POURQUOI A-T-ON TOUT LE TEMPS FAIM ?

1/ Les origines de la faim

a/ Les deux causes de la faim

Revenons à Stéphane. Évidemment, maintenant qu’il a faim, il a du mal à penser à autre chose. Il maudit son estomac, et n’a plus qu’une envie : aller se chercher un gros burger et régler le problème une bonne fois pour toutes. Être débarrassé, quoi.

Débarrassé de la faim.

Mais qu’est-ce qu’il a enfin, notre estomac, à toujours être affamé ? Pourquoi a-t-on faim ?

En fait, ce n’est pas l’estomac le coupable. La petite bête qui déclenche la faim, elle se trouve à l’intérieur de l’estomac. Et elle ressemble à ça :
La ghréline (et non pas Gremlins, donc) est une hormone sécrétée par l’estomac pour déclencher la sensation de faim. Et sa production dépend de 2 facteurs principaux :

-des facteurs physiologiques, comme la baisse des stocks de sucre ou de graisses,
-du rythme biologique, qui fait que la faim se déclenche aussi par pure habitude.

En l’occurrence, notre habitude, c’est de manger trois fois par jour. Mais ça date de quand, ça, en fait ?


b/ Pourquoi mange-t-on 3 fois par jour ?

-L’invention des trois repas par jour

Comme le montre Paul Freedman dans A History of Taste, pendant longtemps (antiquité romaine, Moyen Âge), il n’y a eu qu’un seul vrai repas : le déjeuner, qu'on prenait au milieu de la journée de travail. Ce repas pouvait même être hyper copieux : jusqu’à 4500 calories par personne et par jour, contre 2500 en tout pour un adulte aujourd’hui.
 
Selon l’inventaire de la mine de Pampailly, en 1445, les mineurs recevaient même 7100 calories par jour et par personne ! D’où, sans doute, l’origine de l’expression "avoir bonne mine".
 
Il faut dire qu’à l’époque, la vie était plus dure qu’aujourd’hui : pas de chauffage, pas de transports, des métiers beaucoup plus fatigants que nos emplois de bureau… Alors pour tenir la journée, il ne fallait pas lésiner sur les calories.

Quant à l’apparition des autres repas, elle est beaucoup plus tardive…


Fiches d’identité des Usual Repas :
 
Nom : Le petit déjeuner
Date de naissance : 19ème siècle, quand les ouvriers devaient se nourrir avant leur longue journée de travail à l’usine.
Fonction : nutritive.
Odd fact appris au passage : Les corn flakes ont été inventées complètement par hasard, quand John Harvey Kellogg a laissé rassir du blé bouilli (miam), en 1894.
 
Nom : Le dîner
Date de naissance : 18e siècle, quand les familles bourgeoises inventent le dîner assis, qui devient surtout un moment de sociabilité… plutôt qu’une nécessité alimentaire.
Fonction : sociale


-On mange trois fois par jour… depuis qu’on le peut.


Se nourrir trois fois par jour, ça prend du temps. Alors oui, c’est sûr, aujourd’hui, c’est facile : là, si Stéphane jette un petit coup d’oeil sur Google Maps, il va se rendre compte de ça :
 

Autour de lui, il a accès en très peu de temps à une offre de bouffe super large. Mais si on remonte à un peu avant, c’était quand même plus compliqué...
 

En fait, aujourd’hui, la nourriture est devenue tellement facilement accessible qu’on a perdu de vue l’origine de ce qu’on mange. Exemple : vous vous êtes déjà demandé combien de temps il faudrait pour faire un burger vous-même de A à Z ? Il n’y a pas très longtemps, ce type a essayé. Il a fait pousser son blé, ses légumes et il a même élevé un poulet. Au final, ça lui a pris 6 mois et coûté 1 500 dollars.
Et en plus il paraît que le résultat était très bof...

Que ce soient les burgers ou le fameux paquet de bonbons infini, on se comporte avec la nourriture de la même manière : en piochant dès qu’on a envie, simplement parce que c’est immédiatement accessible.

Mais ça, ce n’est possible que parce que l’humanité a successivement mené trois révolutions alimentaires.


2 / Les trois révolutions alimentaires

a/ Première révolution : l’agriculture

Pendant très longtemps, les hommes étaient des chasseurs-cueilleurs qui mangeaient un peu de tout : viande, fruits, plantes, tubercules. Bon, l’hiver, ils avaient parfois un peu la dalle, mais globalement, ils s’en sortaient (la preuve : on est là).

Puis, il y a environ 10 000 ans, à la fin de l’ère glaciaire, le climat s’est considérablement réchauffé et a favorisé la croissance de certaines plantes, dont les céréales. Et dans le Croissant Fertile (l’Irak actuel, en gros), ils ont inventé l’agriculture.

Enorme progrès ? En fait, bof : les sociétés agricoles sont passées d’un régime alimentaire super varié à un régime basé à 90% sur les céréales.

Le problème, c’est que les céréales manquent de plein d’éléments super importants pour la santé : notamment les protéines, vitamines et acides aminés. Et d'après les ossements qu’on a retrouvés de l’époque, en passant à l’agriculture, les hommes ont carrément rapetissé de 10% par rapport à leurs ancêtres.
 
Malgré ça, l’agriculture s’est quand même développée dans le monde entier. Comme elle a un rendement à l’hectare beaucoup plus élevé que la chasse ou la pêche, elle permet de nourrir plus de monde et favorise la vie en communauté. Ça, c'est la thèse que l’universitaire Jared Diamond, “dix paysans mal nourris sont plus forts qu'un seul chasseur en bonne santé”...

b/ Deuxième révolution : la révolution industrielle

Pendant quelques milliers d’années, il ne se passe pas grand chose dans le monde de l’agriculture. Puis tout s’accélère début XIXème, avec trois inventions qui ont tout changé :
 
Résultat : on a pu consommer des aliments plus frais et plus variés tout au long de l’année. Notre santé s’est améliorée, et on a même retrouvé (puis dépassé) la taille de nos ancêtres.

c/ Troisième révolution : la révolution agro-alimentaire

Celle-là, elle est toute récente : elle date des Trente Glorieuses. Et c’est clairement le changement d’alimentation le plus brutal de l’histoire de l’humanité.

On peut résumer ça en deux points :

- L’explosion de la consommation de viande et produits laitiers

Avec l’élevage industriel, le coût de la viande a énormément diminué. Résultat, les Français ont doublé leur consommation de viande et de poisson et quadruplé celle de produits laitiers.
Source : annuaire statistique de France INSEE 


- L’explosion de la consommation d’aliments transformés

Depuis la révolution industrielle, on a beaucoup plus d’ingrédients à disposition. Mais on ne s’est pas tous mis à cuisiner pour autant... Au contraire, depuis 1950, les pays occidentaux ont petit à petit délégué la cuisine aux industriels. D’abord, parce qu’avec l'évolution des modes de travail, on avait de moins en moins de temps, mais surtout parce que grâce aux progrès de l'industrie, l’agro-alimentaire est devenu capable de transformer de la nourriture de façon bien plus efficace (et donc moins chère) que nous, dans notre petite cuisine.
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Le résultat de tout ça ? Depuis 1950, l’humanité a radicalement transformé ses habitudes alimentaires. Pour résumer, ça donne ça :
Temps moyen passé à préparer le dîner aux US

Consommation moyenne par habitant d'aliments sucrés en France
Source ici

 
Aujourd'hui, les aliments transformés représentent carrément deux-tiers des calories que nous consommons. Comment est-ce que les produits industriels ont pu prendre une telle place dans notre alimentation ?

Parce qu’ils nous rendent addicts.


3/ L’addiction à la nourriture industrielle

Revenons à notre paquet de bonbons magique. S’il avait existé, on aurait pas pu s’empêcher de se baffrer. Culpabilisant ? Sauf que si vous ne pouvez pas vous en empêcher, ce n’est pas de votre faute : avec ses couleurs acidulés, son goût sucré et sa consistance gélatineuse… ces bonbons, comme pas mal d’aliments industriels, sont addictifs.


a/ Pour le cerveau, la nourriture est une récompense

Ce n’est pas un hasard si, pour éduquer les animaux, on utilise en général de la nourriture comme récompense. Pour le cerveau, manger est une récompense… et le perspective de gagner quelque chose à manger suffit à orienter nos choix et nos décisions. C’est le fameux exemple de la carotte :

Cette récompense, elle influence le cerveau de deux manières :

-avant qu’on l’obtienne, sa perspective incite à prendre les actions qui vont nous permettre de l’obtenir.

-une fois obtenue, elle génère une sensation de plaisir… et si elle est bonne, incite à rechercher une nouvelle récompense.

Ces deux modes, c’est ce que ce chercheur américain a appelé le "wanting" (désirabilité) et le "liking" (satisfaction). Et plus une récompense est stimulante sur ces deux tableaux, plus elle sera irrésistible pour le cerveau.

Et c’est précisément comme ça que les industriels ont conçu leurs produits : pour être à la fois les plus alléchants et les plus satisfaisants possibles.

Bref, pour être perçus par le cerveau comme la récompense ultime.


b/ La nourriture industrielle est survalorisée par notre cerveau

- “Wanting” : des aliments plus appétissants

Sur l’étalage d’un marché comme au supermarché, on commence par choisir les ingrédients en fonction de deux critères : le prix (pour ça, le secteur industriel est assez imbattable), et l’aspect. Et là-dessus, ils ont plein de techniques.

Pour valoriser au maximum l’aspect de ses produits, l’alimentation industrielle dispose de plein de moyens. Le packaging, d’abord : on y est tous sensible.
 
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Interlude

Parenthèse "à ouverture facile”

Vous vous êtes certainement déjà demandé pourquoi les ouvertures faciles sont si mal conçues ? La réponse, cette étude géniale de 1977 nous la donne : 87 % des gens associent un emballage difficile à ouvrir à un produit de meilleure qualité.
 
 
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Mais au-delà du packaging, c’est évidemment l’aspect des aliments eux-mêmes qui influencent le plus la décision d’achat. Pour ça, les industriels ont plusieurs trucs.

-les colorants ou autres additifs, comme le fameux E250 (le nitrite de sodium). Lui, on l’ajoute sur le jambon pour qu’il reste rose bonbon, alors que le jambon “naturel” vire au gris après quelques jours.
-les conservateurs. Au début du XXème siècle, les industriels ont même inventé les graisses hydrogénées, qui restent stables et solides même quand il fait chaud. Et ils en ont mis partout : viennoiseries industrielles, biscuits, plats cuisinés, barres chocolatées...

- “Liking” : la recherche du point de félicité

Mais l’aspect ne suffit pas. Pourquoi ? Parce que pour émerger dans la compétition économique, les industriels doivent élaborer des recettes qui vont se vendre plus que les autres. Et pour ça, c’est sur le “liking” de l’aliment qu’il faut jouer. C’est là que l’industrie alimentaire a sorti son arme secrète : le point F.

Quand on ingurgite un élément, le cerveau l’apprécie en fonction de trois critères : sa teneur en graisse, en sel et en sucre - des éléments directement impliqués dans la sensation de faim, comme on l’expliquait plus haut. Alors pour booster le goût de leurs produits, les industriels ont trouvé l’astuce : mettre les trois dans plein de leurs recettes.

Ces recettes, elles ne sont pas conçues au hasard. Comme l’a montré le journaliste du New York Times Michael Moss dans son livre “Salt, Sugar, Fat”, elles sont élaborées par des scientifiques très qualifiés qui recherchent l’équilibre irrésistible entre gras, sel et sucre. C’est à dire le fameux point de félicité auquel le cerveau ne peut pas résister. Et qu'on retrouve dans les biscuits, les soupes, le pain de mie, les pizzas...
Les aliments industriels nous incitent à manger toujours plus. Comme ce fameux paquet de bonbons infini…

Mais là, problème. Parce que le paquet de bonbons n’est évidemment pas infini. Et se comporter comme ça, c’est mauvais pour au moins deux choses : notre santé, mais aussi celle de la planète.


II / POURQUOI ON NE PEUT PLUS MANGER COMME ÇA


1- C’est mauvais pour notre santé

Pour augmenter leurs rendements, ces dernières décennies, l’agro-alimentaire a utilisé plusieurs techniques assez moches.
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Interlude 2

Parenthèse "Bébé phoque"
Oui, on assume : ceci est la parenthèse Brigitte Bardot.

Parce que la vie des animaux de l’élevage industriel n’a souvent rien à voir avec celle qu’on vous montre sur l’emballage.
Quand on dit que 95 % des porcs et 83 % des volailles sont élevés de manière industrielle, on pèse nos mots : les porcs sont élevés en hangars sur caillebotis, et les volailles en batterie (c'est à dire avec une densité de 22 poulets au m2, soit moins d’une feuille A4 par poulet) et ne voient donc jamais la lumière du jour.

Et les bêtes sont bien sûr boostées aux hormones pour accélérer leur croissance et blindées d'antibios pour éviter le développement de maladies liées à la promiscuité. Aux Etats-Unis, selon la FDA, près de 80% des antibiotiques distribuées en 2009 étaient destinés aux animaux d’élévage...

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L’impact de tout ça sur notre santé ? Les études sont rarement d’accord. Mais on observe quand même partout dans le monde l’explosion de l’obésité, des maladies cardio-vasculaires, des cancers, du diabète de type 2… Selon le Global Burden Disease 2013 (la plus grande étude jamais menée sur la mortalité dans le monde), la mauvaise alimentation est le premier facteur de risque. En France, elle représente 44% des décès évitables (c’est-à-dire les décès liés directement à notre comportement), avant le tabac.

Mais il n’y pas que notre santé, il y a surtout celle de la planète.


2- C’est mauvais pour la planète

A votre avis, c’est quoi ce graphique ?
a - l’évolution des ventes de disques de Justin Bieber ?
b- la courbe de croissance de Snapchat ?
c- L’évolution de la population mondiale à travers l’histoire ?

Ben... ça pourrait être les trois. Mais ce qui nous intéresse nous pour ce Topo, c’est surtout la réponse C :
Début 19ème, grâce aux progrès scientifiques et à la chute de la mortalité, la population humaine a littéralement explosé. Et avec elle, les vaches, les cochons, les poulets… bref, tous les animaux que les humains élèvent pour manger.

Conséquence : aujourd’hui, l’homme et les bêtes qu’il élève représentent 97% de la masse des animaux terrestres présents sur la planète.
Répartition de la biomasse des mammifères terrestres, en l’an 2000, selon Vaclav SMIL, should we eat meat, 2013  (ça ne comprend ni les insectes, ni les oiseaux, ni les bactéries, ni les animaux aquatiques, mais quand même).

Et ça ne va pas s’améliorer. Rien que dans les 30 prochaines années, la production de viande mondiale va augmenter de 50%. Alors forcément, tout ça a un impact sur l’environnement.


- Le déséquilibre de l’environnement

Premier truc à savoir : l’élevage, en fait, c’est la première source d’émission de gaz à effet de serre, notamment en raison des émissions de méthane par les vaches et la production d'aliments pour les animaux. Selon un rapport du FAO de 2013, l'élevage représente 14,5 % des émissions, plus que l'ensemble du secteur des transports (voiture, avions et bateaux compris), qui en représente 13%.

Entre le méthane des vaches et la déforestation, par exemple, manger un hamburger émet indirectement 3kg de CO2 : c’est comme si vous rouliez en voiture pendant 25km.

Autre problème : selon un rapport du FAO de 2006, aujourd’hui, 33% des terres arables mondiales servent à nourrir les animaux qui nourriront les hommes. Et si on ajoute les pâturages, l'élevage représente quasi 80% du total des terres agricoles dans le monde. Et ça donne des équations assez simples :
Sachant qu’on arrive à une situation où on va avoir du mal à nourrir l'humanité, produire de la nourriture pour nourrir des animaux qu’on va manger, ça pose question, non ?

Bon, à part ça, il y a aussi la consommation d’eau astronomique de l’élevage ou les rejets de nitrate et de phosphore… Mais il y a surtout un risque beaucoup plus gros.


- L’érosion des sols

Vous savez, le sol sur lequel on marche ? Et sur lequel on fait pousser ce qu’on mange ? En fait, ces sols ne sont pas éternels, loin de là. Pour former un mètre d’humus, il faut 10 000 ans… Mais sous l’effet de l’agriculture intensive, les sols s’érodent. Pour vous donner une idée, une étude de l’université de Cornell a montré qu’aux Etats-Unis, sous l’effet de l’agriculture intensive, le sol s’érodait 10 fois plus vite qu’il ne se regarnissait.
 
Avant                                                   Après        
 
Résultat : les sols deviennent de moins en moins productifs. Et ça, c’est un phénomène quasi-irréversible à l’échelle humaine. Selon une étude relayée ici par le Time, d’ici 20 à 50 ans, l’agriculture deviendra 30% moins productive qu’aujourd’hui.

Et si on mettait des engrais ? C’est bien ce qu’on fait : on en met de plus en plus pour compenser la baisse de fertilité des sols. Depuis 1960, la consommation d’engrais (azote, phosphate et potassium) a été multiplié par quatre.

Sauf que ces engrais ne sont pas éternels, surtout le phosphate. Certains chercheurs prédisent que les réserves de phosphate, dont 75% sont concentrées au Maroc, pourraient être épuisées d’ici la fin du siècle. Et là, inutile de vous dire que ça serait la grosse cata. Plus d’engrais = effondrement de l’agriculture mondiale = famine généralisée.

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Bon, on sait.

Tout ça, ça brosse un portrait assez noir de la situation. D'autant plus que la nourriture est non seulement un besoin essentiel, mais aussi une expérience sociale, un moment de plaisir.

Heureusement, dans le monde entier, il y a plein d’initiatives qui permettent d'imaginer une alimentation à la fois durable et kiffante.


III / UNE AUTRE ASSIETTE EST POSSIBLE

Vous connaissez ces cinq spots ?
 
L’île d’Ikaria en Grèce, Okinawa au Japon, les hautes terres de Sardaigne, la péninsule de Nicoya au Costa Rica, ou la secte Loma Linda en Californie (des mecs un peu perchés) : cinq petits villages qui résistent encore et toujours à l’envahisseur de la malbouffe… et que le journaliste Dan Buettner a appelés les zones bleues. Leurs points communs ?

-leur espérance de vie : par rapport à l’Amérique du Nord ou à l’Europe, leurs habitants ont 10 fois plus de chance d’atteindre l’âge de 100 ans

-leur assiette : ils mangent peu de viande et de produits laitiers, peu de produits transformés, mais beaucoup de fruits, légumes, noix, grains entiers.

En gros, manger différemment, ça peut avoir un énorme impact sur notre santé. Mais on vous rassure : pour ça, pas besoin de se mettre à ne manger que des noix.

Voici plein de manières de changer votre manière de manger dès maintenant.

-JERF : Just Eat Real Food
C’est le conseil le plus basique, ok. Mais aussi le plus efficace : une fondue de courgette, un avocat nature avec un filet d’huile d’olive bio. Des produits simples, préparés simplement. C’est le meilleur moyen d’éviter les aliments transformés industriellement.


-Mangez ce que vous voulez… tant que vous le cuisinez vous-mêmes
On a trouvé notre nutritionniste préféré : non seulement il est prof à Harvard (toujours classe), mais en plus, il a une philosophie trop cool en matière de nutrition. Pour Dave Butler, vous pouvez manger tout ce que vous voulez : burgers, lasagnes, tiramisu, charlotte au chocolat… A une seule condition : que vous le prépariez vous-mêmes (oui on sait : là, ça calme un peu). En fait, son travail a montré que plus on passe de temps à cuisiner, moins on consomme de calories.


-Mangez lentement
Tout est slow en ce moment. Même la bouffe : en fait, le sentiment de satiété (c’est à dire la sensation de n’avoir plus faim après un repas) dépend moins de la quantité avalée que du temps effectif passé à manger. En général, cette sensation apparaît après 15-20 minutes. Alors mettez-vous des contraintes : mastiquez en comptant jusqu'à dix ou posez votre fourchette entre chaque bouchée. C’est le secret pour manger moins tout en ayant moins faim.


-Mollo sur la viande et les produits laitiers
Sans l'élevage industriel, on ne pourrait jamais manger autant de viande et de produits laitiers. Du coup, il va falloir lever le pied... Dites-vous que la viande le midi, c’est comme les antibiotiques : pas automatique. Et prenez le bô-bun végétarien de temps en temps.


-N’achetez pas n’importe quoi au supermarché
On a de la chance : on commence à trouver dans les rayons de nos supermarchés de plus de plus de produits bio, locaux, respectueux des animaux... Alors de temps en temps, acceptez de payer un peu plus. Choisir un oeuf de poule élevée en plein air (petit rappel : il suffit de lire le premier de la rangée de chiffres imprimée sur l’oeuf :  “0” ou “1” = plein air), à force, ça peut changer la donne.


-Soutenez de nouvelles façons de produire

La permaculture
Vous connaissez ? En gros, c'est le fait de cultiver la terre de façon à la rendre plus riche que celle qu’on a trouvée, en s’inspirant du fonctionnement des écosystèmes naturels. Bref, l’antidote à l’érosion dont on parlait un peu plus haut. Avec plein de techniques simples : ajouter des haies en bordure des cultures pour favoriser la biodiversité, jouer sur les synergies entre plantes (exemple : planter des carottes pour éloigner les puçerons), surélever la terre pour ne pas la piétiner et ne pas la compacter... Non seulement c’est écolo, mais en plus, c’est hyper efficace : le rendement est supérieur à celui de l’agriculture traditionnelle.

Incredible Edible
C'est un mouvement qui a commencé à Todmordne, une petite ville d’Angleterre où on cueille ses tomates en attendant le bus et où on arrose les épinards en allant acheter le pain. L’idée de départ est tout simplement génial : elle consiste à transformer tous les espaces verts publics en espaces cultivés, et à associer tous les habitants à la démarche. Ça a eu un tel succès que l’idée s’est exportée dans le monde entier.

Veja
Il y a dix ans, le fondateur de Veja s’est dit, avant tout le monde, qu’il pouvait y avoir une autre manière de produire des baskets : une manière à la fois respectueuse des gens et de l’environnement (ils vont même jusqu’à faire de la permaculture pour cultiver le coton utilisé pour leurs baskets !). C’est d’ailleurs aussi un peu ce qu’on essaie de faire avec Loom...

-Et soutenez de nouvelles façons de consommer…
On n’allait quand même pas finir ce Topo sans vous balancer quelques adresses pour manger différemment… On en a listé plusieurs en région parisienne, mais si vous habitez ailleurs, n’hésitez pas à parler de celles près de chez vous dans les commentaires en bas :)

Le Freegan Pony
Le freeganisme, ça consiste à cuisiner des ingrédients gratuits. Forcément, c’est souvent pas très cher… mais aussi très bon. Comme au Freegan Pony, le resto qui cuisine les invendus de Rungis sous le périphérique parisien.

Simone Lemon
Le point commun entre l’univers des aliments et celui des boîtes de nuit ? Tels Dallas, ils sont les deux impitoyables : il suffit que certains aliments tirent un peu la tronche pour se voir “refuser l’accès à l’établissement”. Chez Simone Lemon, on cuisine justement ces produits jugés “trop moches” par les restos traditionnels. Et de toute façon, quand c’est bon, c’est beau.

Le Terroir parisien
Plus que bistronomique, ici, on est carrément bistrono-locavorique. Ici, le chef Yannick Alléno a décidé de bosser uniquement avec des producteurs d'Ile-de-France, pour soutenir la filière de production locale et mettre en place un circuit court. Résultat, on déguste des pêches de Montreuil, de la viande du Gâtinais ou des asperges de Seine-Saint-Denis. Et on se régale.

Le Bichat
Une cantine bio, de saison, qui vise le zéro gaspillage en mettant tous ses ingrédients sous conserve sitôt cuit. En plus, c’est très bon.

Coopérative La Louve
Annoncé depuis bientôt un an, on a hâte que ce supermarché coopératif ouvre après l’été : ici, tous les membres participent à la gestion du magasin et des rayonnages, tout s'approvisionnant uniquement auprès de producteurs bio.  

Le Café Pinson
Depuis 2003, Agathe, fondatrice du Café Pinson est officiellement la première intolérante au gluten de Paris. C’est pour ça que chez elle, l'assiette est bio, locavore, de saison. Et quand on passe là-bas, on a envie de manger comme ça tous les jours.


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Pour finir, il y a deux choses à retenir de ce Topo.

D’abord, il faut voir plus loin que le bout de notre assiette. Tous les jours, en mangeant, on choisit le monde dans lequel on a envie de vivre. Et en faisant les mauvais choix, au contraire, on grignote un peu plus notre patrimoine écologique.

Ensuite, aujourd’hui, autour de nous, on a plein d’options qui nous permettent de changer les choses - sans jamais perdre la notion de plaisir. Parce que manger doit rester un énorme kif :)

En fait, il faut se dire qu’à chaque fois qu’on va faire nos courses au supermarché, c’est comme si on allait voter.

Alors tant qu’à faire : votons pour le “mieux manger”.

Et partagez ce Topo ! 
 


Concours terminé

Topo, n.m., {escalade} : guide utilisé par les alpinistes et décrivant la voie pour atteindre le sommet.

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