Des hommes, des vrais ?

Des hommes, des vrais ?

Pourquoi la virilité traditionnelle n'a plus aucun sens

Dans ce Topo, on va parler stéréotypes, égalité hommes-femmes et vision du monde. Mais avant d’aborder tout ça, on va faire un petit détour… par l’Islande. Pendant longtemps, personne ne s’intéressait à l’Islande : c’était loin et froid - et surtout très cher. Puis la crise de 2008 est survenue, et le pays s’est retrouvé dans une crise économique sans précédent. Pourquoi ? Bah justement, pour une raison qui touche de très, très près à notre sujet…

Temps de lecture : environ 15 minutes.

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Quand Eyjafjallajökull (le fameux volcan islandais) ne fait pas des siennes, c’est beau l’Islande. Très beau, même : c’est l’endroit idéal pour admirer de très près les forces de la nature.
Ah oui, la dernière force de la nature islandaise, là, c’est Gunthar. Gunthar est un homme, un vrai. Il est barbu, il aime la bière, et il est pêcheur. Ce n’est pas un métier facile : tout le monde fait ça, en Islande. Alors pour ramener les plus belles prises, il faut être capable de braver la mer déchaînée, de partir plus loin que les autres et de rentrer au port après tout le monde. Il faut être prêt à prendre des risques élevés dans un environnement compétitif féroce.
 
Ça, c’est la vie que Gunthar, son père et son cousin menaient depuis des siècles. Puis, au début des années 2000, l’Islande a connu un boom financier juste hallucinant : la valeur du marché islandais a été multipliée par 9 entre 2003 et 2007, et le secteur bancaire s’est vite retrouvé à court de banquiers à recruter…
 
C’est là que les Islandais ont inventé un tour de magie hyper impressionnant : ils ont trouvé comment transformer un pêcheur islandais en trader islandais. Et en fait, c’est tout simple :
 
Ce dont les banques islandaises se sont aperçu, c’est que les pêcheurs avaient juste le profil parfait pour devenir trader : sur-confiance en soi, insensibilité au risque et esprit de compétition. Et pendant quatre ans, ça a effectivement vachement bien marché. Le monde entier s’extasiait sur le miracle financier islandais… jusqu’à la crise de 2008. Là, ça a fait mal :
 
 
Du jour au lendemain, l’Islande s’est retrouvée avec 100 milliards de dollars de dettes.
 
Ce qu’il s’est passé ? En fait, les banquiers-pêcheurs islandais n’avaient pas la moindre idée de ce qu’ils faisaient. Ils étaient simplement tellement sûrs de leur propre force qu’ils ont foncé dans le mur.
 
Des mecs, des vrais, quoi...

 
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Comment le stéréotype de la masculinité traditionnelle a précipité l’Islande dans une des pires crises financières de l’Histoire : ça, c’est la thèse que soutient le journaliste financier Michael Lewis dans son article génial Wall Street on the Tundra. D’habitude, quand on parle de stéréotypes hommes/femmes, on rencontre deux types de réactions :
Soit les gens ont l’impression que le sujet a été traité 10 000 fois, soit ils se disent qu’il n’est pas si important que ça… Traité 10 000 fois ? Peut-être, mais surtout par les femmes, tandis que les hommes sont plutôt lents sur le sujet. Pas si important que ça ? Au contraire. Les stéréotypes masculins/féminins continuent non seulement à structurer nos rapports hommes/femmes, mais plus largement notre vision de la société.

Et parfois même, comme dans le cas de l’Islande, ils peuvent nous mener droit dans le mur...
 
Alors reprenons depuis le début : ils viennent d’où, ces fameux stéréotypes ?
 

I / D'OU VIENNENT LES IDENTITES SEXUELLES ? 
 
Que les femmes doivent être de bonnes épouses préoccupées par leurs enfants, tandis que les hommes ne penseraient qu’à chevaucher des pur-sangs dans l’immensité des plaines américaines… ça, plus personne ne le pense, si ?
 
Ce type de stéréotype, c’est la thèse du fameux best-seller “Les femmes viennent de Vénus et les hommes de Mars” : on ne serait pas fait pareil. Et c’est le point crucial du débat sur les stéréotypes : est-ce que les hommes et les femmes naissent différents ? Ou est-ce qu’ils le deviennent ? 
 
 
     A - Le cerveau a-t-il un sexe ?
 
Pour comprendre la différence nature/culture, commençons par l’histoire d’Elliott le chien.

Fig.1 : Elliott en mode chill. 
 
Elliott est un setter anglais. En théorie, c’est un chien de chasse, sauf qu’il a toujours vécu dans un pavillon de banlieue parisienne, bien loin des sangliers et autres chevreuils. Mais un jour, il voit un oiseau se balader sur la pelouse. Et là, il fait un truc de fou : 

Fig.2 : Elliott en mode chasseur.
 
Museau pointu, patte avant relevée, queue à l’horizontale : Elliott se met à l’arrêt - la position que tous les chiens de chasse utilisent pour désigner la présence d’une proie au chasseur qui les accompagne. Sauf qu’Elliott n’est jamais allé à la chasse, il n’a jamais croisé ni chien de chasse, ni chasseur. Mais alors : où est-ce qu’il a bien pu aller apprendre ça ??
 
En général, on répond “c’est l’instinct” : une notion assez floue censée désigner des attitudes ou caractéristiques transmises via le patrimoine génétique. Chez les humains, on parle par exemple de l’intuition féminine ou de la confiance en soi masculine : des traits de caractères qui seraient soi-disant inhérents aux individus, en fonction de leur sexe.
 
Mais que dit vraiment la science sur ce sujet ?
 
On préfère vous l’annoncer tout de suite : cette fois… elle n’a pas de réponse.

 
     1 - La thèse de l’inné : le vrai rôle des hormones ?
 
Pour la science, la différence entre une homme et une femme se résume à peu de choses : une lettre. Celle qui désigne le 2e chromosome de la 23ème (et dernière) paire du caryotype. L’homme possède un chromosome Y, et la femme un chromosome X.
 
Ce que ça change ? Dès le stade foetal, ces chromosomes provoquent le développement des organes sexuels qui, à la puberté, vont activer la production des fameuses hormones masculines et féminines : la testostérone et les oestrogènes. Hommes et femmes possèdent les deux, mais pas dans les mêmes proportions.
Le rôle de ces hormones ? En général, on résume ça comme ça :
A part ça ? Il existe vraiment des milliers et des milliers d’études sur le sujet - et elles ne sont bien évidemment pas toutes d’accord. Selon une méta-analyse de plus de 5000 études indépendantes, les cerveaux masculins sont 8 à 13% plus gros que les cerveaux féminins et les proportions des différentes zones du cerveau (amygdale, hippocampe, cortex...) varient aussi en fonction du sexe.
 
Ça, c’est le constat objectif. A partir de là, pas mal d’études ont essayé d’observer scientifiquement les clichés qu’on connaît tous :
 
-les femmes sont plus douées pour le langage et les mots
-les hommes plus à l’aise avec les chiffres, la représentation en 3D
-les filles sont plus polyvalentes car leurs deux hémisphères sont mieux connectés…
 
Le problème de ces études ? Comme le montre la neuroscientifique Catherine Vidal dans sa Ted Talk, il y en a plusieurs :

Le principal problème, c’est évidemment le dernier : les sujets de ces études ne sont pas des rats de laboratoires qui auraient grandi dans l’isolement complet… Ce sont des individus qui ont déjà été “déformés” par l’éducation. Et donc, quelles que soient les différences mesurées, il est toujours très dur de faire la part de l’inné et de l’acquis...
 
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(début de la parenthèse)
Les études à la con
 
Ah, les études à la con ! On en voit passer plein, et à chaque fois on se dit “c’est quand même génial, la science”. Eh bien non, pas tout le temps. Parfois, la science elle aussi peut être débile.

Voilà pourquoi :

-il y a le problème des échantillons trop faibles, évoqué plus haut
-la pression faite aux chercheurs qui doivent produire des résultats les plus “sexy” possibles… quitte parfois à déformer leurs données…
-les journalistes qui lisent un peu trop vite les études et déforment les conclusions...
 
Par exemple, vous étiez peut-être tombé sur une de ces études ? Voilà ce qu’elles prétendaient, et ce qu’il faut vraiment en savoir :

Théorie 1 : le champagne empêchait Alzheimer ?
Réalité : l’étude avait été faite sur des rats.

Théorie 2 : les femmes sont moins ouvertes à la séduction quand elles ont faim ?
Réalité : l’étude concernait 20 femmes

Théorie 3 : Sentir des pets peut prévenir le cancer
Réalité :  un gaz dégagé par les aliments en décomposition pourrait avoir un intérêt pharmaceutique. 
 
Si le sujet vous branche, vous pouvez aussi lire ce super article de Titiou Lecoq ou ce speech de John Oliver.
 
 
(Fin de la parenthèse)

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Bref : qu’on ne soit pas fait pareil, la science le constate. Mais pour l’instant, elle a beaucoup de mal à dire d’où viennent vraiment ces différences.
 
 
     2 - la thèse de l’acquis
 
Vous avez peut-être remarqué, mais par rapport aux autres mammifères, à la naissance, les êtres humains sont quand même de sacrés incapables :

Ça, c’est ce qui fait à la fois notre faiblesse et notre force : les êtres humains naissent complètement inachevés. Parce que le plus important, c’est ce qu’ils vont apprendre.

C’est encore un des points que soulève Catherine Vidal : le cerveau a plein de qualités incroyables, mais une des plus impressionnantes, c’est sa plasticité. Pour vous donner une idée, les connexions entre neurones (les fameuses synapses) se développent assez lentement dans la phase embryonnaire : seulement 10 % d’entre elles sont présentes à la naissance. Les 90 % restants ? Ils se font sous l’action de l’environnement extérieur - via l'expérience. 
 
En gros, la biologie donne des possibilités aux humains : celle d’apprendre, celle de développer des compétences et des savoir-faire. Mais pour chercher des interdits, ce n’est pas du côté de la biologie qu’il faut aller. Comme le dit Yuval Noah Harari dans son bouquin Sapiens (à lire absolument) : “la biologie permet, la culture interdit ”.
 
Alors pour vraiment comprendre les stéréotypes hommes-femmes, il faut aller chercher du côté de l’Histoire.
 

     B - Le poids de la culture
 
A propos d’Histoire, tant qu’on y est : vous connaissez ces trois présidents américains ?
Et bien si vous aviez été à la fac avec eux, vous les auriez sans doute croisés dans cette tenue-là :
Eh oui : avant de devenir un sport exclusivement féminin dans les années 60, le cheerleading était hyper valorisé, et ça aussi bien pour les femmes que pour les hommes. Les cheerleaders étaient même réputés pour leur charisme et leur leadership.
 
Aujourd’hui, on ne peut pas s’empêcher de trouver l’idée plutôt marrante... C’est normal, parce que nos conceptions des identités sexuelles sont avant tout dictées par notre culture.
 
 
     1-Comment la culture définit des modes...
 
Une culture, ça se manifeste d’abord par des petites choses. Des goûts vestimentaires, par exemple. Alors commençons par un petit jeu avec… Julien Lepers !

Top, je suis une personne au lustre éclatant, je porte des talons, des bas de soie et des longs cheveux frisés, j’adore qu’on me fasse la cour, avoir des admirateurs et me faire peindre en tableau, je suis je suis…
 
Vous l’avez ?
 
La réponse, c’est… Louis XIV.
 
Parce que oui, en quelques siècles, l’idéal de la mode masculine a pas mal évolué :
Et d’ailleurs, vous pensez sans doute que le rose est évidemment une couleur de filles ? Bah jusque dans les années 40, c’était exactement le contraire :
A l’époque, le rose était considéré comme une couleur forte et donc masculine, alors que le bleu était associé à une douceur plus féminine...
 
En fait, on baigne tellement dans notre époque qu’on ne peut s’empêcher de considérer un état des lieux ponctuel en une norme définitive. C’est la règle du point de vue historique : c’est un peu comme si on jugeait les choses d’après une photo prise sur le vif...
Non, ces “instantanés” ne sont pas des règles absolues : juste des phases transitoires à l'échelle de l'histoire… qui peuvent pourtant peser très lourd dans le destin des individus.

 
     2 - Ce qu’on est : la définition des rôles sexués
 
Une personne qui, justement, n’aimait pas trop être enfermée dans un stéréotype, c’était Margaret Mead.
 
Cette anthropologue américaine naît en 1901 dans une Amérique hyper puritaine. Elle décide malgré ça de s’intéresser à un sujet plutôt original pour l’époque : les moeurs sexuelles des autochtones de Nouvelle-Guinée. Là-bas, elle tombe sur trois tribus assez chelous :
 
-les Chambulis, où les hommes sont très émotifs et les femmes hyper rationnelles,
-les Arapeshs, empathiques et proches des enfants,
-les Mungundors, tous très agressifs.
 
Si on considère que, en Occident, les identités sexuelles sont réparties en gros ainsi :
 
… pour les trois tribus rencontrées par Margaret Mead, ça donnerait ça :
Publié en 1935, le bouquin de Margaret Mead fait l’effet d’une onde de choc : pour la première fois, quelqu’un dit que les identités de sexe sont davantage liées à la culture et à l'éducation qu’aux différences biologiques.
 
Sauf que… si en Nouvelle-Guinée, toutes ces configurations étaient possibles, il fallait bien admettre une chose : aussi loin que l’on remonte dans l’Histoire occidentale, la répartition des rôles entre hommes et femmes n’a pas beaucoup varié.
 
Parce que il s’il y a une constante dans l’histoire de l’Occident, c’est peut-être celle-ci : l’éternelle domination masculine.

 
 
II / LE DESEQUILIBRE DES VALEURS
 
 
La domination masculine ? Quelle domination masculine ?
 
Faisons un petit test avec le Bingo des phrases sexistes :
 
-Non mais un mec avec une femme 10 ans plus âgée, c’est chelou quand même non ?
-Oh, un homme avec une femme plus jeune, ça s’est toujours vu.
-Il enchaîne vraiment les conquêtes : quel séducteur !
-Elle enchaîne vraiment les conquêtes : quelle trainée...
-Quand même, elle n’est pas très féminine
-Hahaha, oui, bon il fait pas mal de conneries, que veux-tu c’est un mec...
-Jeanne, tu m’aides à débarrasser ?
-Laisse Jean, je vais débarasser.
-Lui au moins il a des c… .
-Arrête de faire ta gonzesse !
 
Vous n’en avez entendu aucune dans la semaine écoulée ? Bravo : vous vivez dans un sexism-free world, et vous avez bien de la chance. Mais c’est loin d’être le cas de tout le monde, il suffit pour ça d’aller jeter un oeil à Chair Collaboratrice ou au Projet Crocodiles.
 
Oui, parce que Beyoncé a beau chanter...
L’égalité hommes/femmes, c’est pas encore pour tout de suite.

 
     A - Comment la culture masculine a imposé sa loi
 
Mais pour quand alors ? Selon l’ONU, au rythme où progressent les conditions de vie des femmes dans le monde (santé, éducation, politique, travail), on atteindra l’égalité parfaite en… 2201.
 
Mais pourquoi est-ce que ça prend autant de temps ?
 
Bah déjà, c’est pas un truc dont on a pas trop l’habitude. Ça n’est tout simplement jamais arrivé dans l’histoire de notre civilisation...
 
 
     1 - La prise de pouvoir du patriarcat
 
Pas la peine de vous rappeler depuis quand les femmes ont le droit de participer à la vie publique en Europe ? En France, par exemple, elles n’ont eu le droit de vote qu’en 1944…
 
Pour expliquer la domination des hommes sur les femmes, les scientifiques avancent en général deux théories, dont aucune n’est vraiment convaincante - selon Yuval Noah Harari dans Sapiens :
-la théorie de la force : les hommes, plus forts physiquement, auraient pris le contrôle de la nourriture… et donc des femmes.
=> sauf que dans l’Histoire, les plus puissants sont souvent faibles physiquement (vieux, riches…)
-la stratégie évolutionniste : les femmes ont accepté de se soumettre pour convaincre l’homme de rester élever ses enfants.
=> une stratégie que contredisent pas mal d’exemples du monde animal (bonobos, éléphants) dont les sociétés sont dominées par les femelles.  
 
En fait, du point de vue évolutionniste, rien n’explique comment les hommes ont pris le pouvoir. Mais ce qui est certain, c’est qu’ils ont mis en place des cultures qui privilégiaient toujours leur propre idéal.
 
 
     2 - Le Bro Code : de la conception de l’homme à celle d’un projet de société
 
Dans son Histoire de la virilité, Georges Vigarello (historien français spécialiste des représentations du corps), voit trois grandes époques dans la définition de la masculinité :
Selon lui, l’idéal masculin a pris plusieurs formes. Mais il s’articule toujours autour d’un tronc commun : force physique, fermeté morale et puissance sexuelle. Ce qui est marrant, c’est que pour chaque époque, cette conception de “l’homme” est en fait très proche de la vision globale de la société :
A chaque fois, les variantes de la culture virile définissent les standards de la société. Un peu comme un Bro Code : une bande de mecs qui se réuniraient pour dicter ses règles. Et selon Vigarello, cet “impératif masculin” n’a jamais été aussi fort qu’au XXème siècle, où on le retrouve dans tous les aspects des sociétés : dans la volonté de conquête du colonialisme, dans la quête de record de l’olympisme, ou dans le développement de l’industrie. Sans parler des guerres….
Et aujourd’hui ?
 
Justement. On se dit que le XXème siècle commence à être loin derrière. Et qu’on ne pense plus comme avant. Le problème ? C’est qu’on reste pétri de ce primat de la culture masculine… et parfois, sans même s’en apercevoir. Ne serait-ce que dans la langue française :
 

Mais ce n’est pas tout. Le site Polygraph s’est amusé à mesurer la part de dialogue attribuée aux femmes dans les films de Disney. Et le résultat fait mal…
 
Si ça va mieux maintenant ? Une bonne manière de vérifier, c’est le test de Bechdel. Ça consiste à examiner chaque film de cinéma pour voir s’il remplit trois conditions :
 
Même en 2015, presque la moitié des films ne passaient pas le test…
 
Ce test, c’est quand même un excellent exemple de la manière dont les stéréotypes s’entretiennent… sans même qu’on s’en aperçoive. Et ça, c’est non seulement lourd de conséquences pour les individus, mais aussi pour la société dans son ensemble.
 
 
     B - Comment les stéréotypes nous enferment dans des cases
 
     1 - Le déséquilibre des valeurs masculines/féminines
 
- La crise de confiance féminine
 
Les premières victimes de ces stéréotypes, ce sont évidemment les femmes. Là dessus, il y a des centaines de chiffres, mais on peut au moins retenir celui-là : à poste équivalent, elles sont payées 19 % de moins.
 
Comment ça se fait ? Une des raisons principales, c’est ce que deux business women américaines ont appelé The Confidence Gap : l’écart de confiance entre hommes et femmes. Parce que quand on est une femme, en fait, on vous éduque à ne pas avoir confiance en vous. Et ça se manifeste de plein de manières :
 
-Face à l’échec, les femmes ont tendance à mettre en cause leurs propres capacités… alors que les hommes accuseront le contexte extérieur. Ex : une femme dira “Je n’étais pas assez bonne”, et un mec “c’était vraiment dur”.
-Dans les candidatures : pour se sentir légitime, une femme estimera devoir remplir 100 % de la fiche de poste. Un homme, lui, se contentera de seulement 60 %, selon une expérience menée chez Hewlett Packard...
-Dans les négociations salariales : les hommes initient des négociations 4 fois plus souvent que les femmes, et ils demandent 30 % de plus.
 
Alors c’est sûr que ça ne vous aide pas à être ni mieux payée, ni davantage reconnue dans le travail… surtout si vous baignez dans une culture masculine qui privilégie la confiance en soi et l’autorité…
 
 
- Le péché d’orgueil masculin
 
Mais pour les hommes alors, tout se passe bien ?
 
Pas vraiment. Pendant longtemps, être un homme, on pensait que c’était un peu être John Wayne : parler peu, savoir ce que l’on veut, et l’obtenir en quelques coups de revolver.
 
Ce phénomène-là, un chercheur californien l’a analysé et a appelé ça la honest overconfidence - ou une “confiance en soi exagérée mais sincère”, en français. Et ça peut pas mal en jeter, parfois…
 
La réponse est : il n’en savait rien. Mais il croyait en lui, et ça aide déjà pas mal. En fait, les garçons sont souvent éduqués pour se croire les meilleurs, relativiser l’échec, et se disant qu’ils se débrouilleront de toute façon... Mais cette attitude ne marche plus. Le monde est de plus en plus complexe, et personne ne peut se vanter de l’avoir entièrement compris.

Et très souvent, ceux qui prétendent parfaitement savoir où ils vont n’en ont en fait aucune idée
 

Du coup, les hommes sont un peu face à un défi impossible : tout savoir d’un monde dont on ne peut pas tout savoir.

Ce qui les prend à rebours de leur éducation et se traduit de plein de manières différentes. Ça va de la petite voix qui vous encourage à choisir un “vrai métier” après vos études (il faut écouter Raymond Devos ou Jacques Brel expliquer qu'en tant qu'artistes, ils ne se considèrent pas comme “des vrais hommes”), jusqu’à des situations beaucoup plus dramatiques : les hommes ont aussi un taux de suicide beaucoup plus élevé que les femmes...
 
Et la société est un peu dans la même situation : en ce moment, on est face à des questions hyper complexes... mais on reste persuadés qu'on trouvera toujours une solution. Que ce soit pour les crises économiques, environnementales (écologie, pollution, alimentation) ou technologique (intelligence artificielle)...

Comme si on fonçait dans le vide, persuadés qu'on allait réussir à apprendre à voler d'ici là...

 
Pas très malin, si ?
 
 
     2 - Pourquoi l’opposition des valeurs féminines et masculines n’a plus aucun sens
 
Pour résumer vraiment à la hache, la vision traditionnelle oppose les valeurs “masculines” centrées sur la confiance et les valeurs “féminines” centrées sur le doute. En gros, “des filles qui doutent, des mecs qui s’en foutent”. C’est évidemment super caricatural, puisque plein de mecs doutent et plein de filles ont confiance en elles. En tout cas, on continue à dévaloriser les soi-disantes “valeurs féminines” parce que, dans notre mentalité encore complètement empreinte du schéma viril, ce sont des valeurs faibles.

Non. S’il y a bien un truc à retenir de ce Topo, c’est que le doute, la prudence, l’empathie, ne sont pas des aveux de faiblesse - plutôt des preuves d’intelligence. Douter, s’interroger, c’est ce qui nous rend plus fort, c’est ce qui consolide nos projets, ce qui façonne notre détermination.

Face à une culture virile qui prônait l'invincibilité, il faut réhabiliter l'échec. Face à une culture masculine qui prétendait à l’infaillibilité, il faut redonner sa place au doute.
 
Et d’ailleurs, pour revenir à nos pêcheurs islandais… vous savez comment ils sont sortis de la crise ? En appelant les femmes à la rescousse, et en confiant le gouvernement à Johanna Sigurdardottir, qui s’est engagée à ré-injecter des “valeurs féminines” dans le système bancaire islandais…
 
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Alors, que faire pour décloisonner les cultures masculines/féminines et faire progresser tout ça un peu plus vite ? Voici quelques pistes d’actions - plus ou moins immédiates :
 

-le vocabulaire : les mots qu’on emploie définissent le réel. Il y a des blagues qu’on pense faire innocemment, sans penser à mal… alors que c’est typiquement le genre de choses qui contribuent à entretenir les stéréotypes. Sur le sujet, il y a d'ailleurs ce petit guide pratique du Haut-Conseil à l'Egalité.
-l’éducation : évitez de dire “sois fort” à un petit garçon et “habille-toi bien” à une petite fille, et lisez plutôt des trucs comme ça.
-les congés parentaux : avoir des congés maternité plus longs que les congés paternité correspond à un schéma traditionnel où on demandait aux femmes de s’occuper des enfants. Maintenant, tout le monde se partage à la tâche, alors il faut juste donner aux hommes la possibilité de le faire. Sans compter que ça contribuera à réduire les inégalités salariales en lissant le risque de congé parental pour les hommes et les femmes.
-la grammaire : accorder au masculin quand il y un mec au milieu de quinze meufs, franchement c’est limite. La solution ? L’Office Québecois de la langue française applique la règle de la proximité : ça consiste à accorder le verbe avec le mot qui lui est le plus proche. Ex : Guillaume et Alexandra sont allées au marché.

 
Et parce qu’après un sujet comme celui-ci, on se rend compte que Barack va encore plus nous manquer qu’on ne le pensait, on va terminer avec une petite citation de lui :
 
Nous devons mettre fin aux limites. Nous devons continuer à changer notre façon d’apprendre à nos filles à être sages et à nos garçons à être sûrs d’eux, notre façon de critiquer nos filles lorsqu’elles s’affirment et nos garçons lorsqu’ils versent une larme. Nous devons continuer à changer notre façon de punir les femmes pour leur sexualité et de récompenser les hommes pour la leur."

Barack Obama, le 4 août 2016.          
 
 




 

Pour finir, on doit quand même faire un mea culpa : les stéréotypes hommes/femmes, sur Merci Alfred, on en a parfois joué - et ça n'était pas toujours très réussi. On pensait que personne ne prenaient ces stéréotypes vraiment au sérieux, et que quelques blagues, ça restait assez innocent. Comme vous voyez avec ce Topo, on a vraiment changé d'avis. The New Alfred is coming, alors si vous voulez nous rejoindre, c’est ici.

Concours terminé

Topo, n.m., {escalade} : guide utilisé par les alpinistes et décrivant la voie pour atteindre le sommet.

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