Génération Yeah !
Pourquoi on n'aura pas la même vie que nos parents
06-07-2016
Ce sujet, on l’a sous le coude depuis pas mal de temps. Après notre premier Topo (Le Test du Marshmallow), on a eu la chance que Fabrice nous écrive. Il a débarqué au bureau un beau matin pour nous parler astrophysique et politiques publiques. Puis il nous a filé un sacré coup de main sur ce sujet, tout comme Sami, qu’on a rencontré un peu après. Merci Fabrice et Sami !
Temps de lecture : 12 minutes
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Pour commencer, voici un petit puzzle : ça s’appelle le Tetris des Vacances. Le but du jeu consiste à caser deux valises, une glacière, un chien et trois enfants à l’arrière d’une voiture.
La meilleure méthode ? Bon, bien sûr, on peut toujours chipoter. Mais il y en a une qui marche à tous les coups : c’est de tasser.
Eh oui. On arrive au mois de juillet. Jean-Pierre Pernaut et Bison Fûté vont bientôt commenter en direct live le grand défilé de l’été. Et ce n’est pas celui auquel vous pensez...
Pour pas mal d’entre nous, ce chassé-croisé, ce sont des souvenirs de longs trajets inconfortables à travers la France. Où, coincés entre son frère et sa soeur sur la banquette arrière pendant que les parents étaient confortablement installés à l’avant, on prenait son mal en patience. A deux niveaux :
1, en espérant arriver bientôt.
2, en se disant que notre tour viendrait : un jour, nous aussi on serait installés à l’avant… à la place des adultes.
En fait, quand on se projette dans l’avenir, on s’imagine souvent suivre la voie de nos parents. Ça ne veut pas forcément dire faire dentiste comme papa, non… Mais plutôt envisager un avenir qui suive la même trajectoire. Comme si l’histoire devait se répéter.
Alors que non, notre vie ne ressemblera pas à celle de nos parents. Parce que la grande différence entre eux et nous, c’est qu’on appartient à deux générations différentes. Et que cette appartenance va façonner notre destin.
On dit souvent que notre avenir s’annonce moins rose que celui de nos parents. Qu’on est une génération sacrifiée. Cette question, on l’a abordée dix mille fois en dîner, avec nos potes.
Alors, notre avenir sera-t-il vraiment moins rose que celui de nos parents ?
I / POURQUOI NOS PARENTS SONT PLUS RICHES QUE NOUS
A priori, on imagine que vous n’êtes pas trop fan de ce genre de truc. Mais si c’est le cas, vous pouvez tout de suite laisser tomber votre horoscope de l’été. On a trouvé beaucoup mieux.
Vous êtes nés entre 1977 et 1994 ? En gros, votre vie, ça va donner ça :
Amour ? Vous vous marierez à 30 ans. Il y a 10% de chances que vous divorciez au bout de 5 ans.
Santé ? Good news : vous allez vivre longtemps, quasiment cent ans. (Donc vous aurez le temps de vous re-caser, hein).
Travail ? Désolé, mais là, c’est un peu décevant. Si vous avez 25 ans aujourd'hui, votre revenu disponible est déjà 19 % inférieur à celui de vos parents au même âge (comme le montre ce simulateur génial). Et si on intègre vos dépenses de logement, ça peut aller jusqu'à 40% moins riche.
Tout ça, ce sont les caractéristiques de la génération Y - c’est à dire les gens nés entre 1977 et 1994. Depuis quelques années, on s’amuse à donner des noms aux générations : X, Y, Z… Comme les chromosomes, d’ailleurs. Et ce qui est marrant, c’est que comme eux, les générations nous définissent.
Plus précisément : elles définissent notre place dans la société.
Notre place dans la société? OK, mais d’abord, c’est quoi, une société ?
Selon Wikipédia, c’est “un ensemble d'individus qui partagent des normes, des comportements et une culture, et qui interagissent en coopération pour former un groupe ou une communauté”.
Bon, faut avouer que c'est pas forcément évident, comme définition... Alors disons plutôt que la société, c’est comme une autoroute : plein de gens qui roulent dans le même sens, à l’intérieur de voitures plus ou moins cool, plus ou moins récentes.
Et notre position sur cette autoroute (c’est-à-dire notre place à l’intérieur de la société), elle dépend globalement de trois critères principaux : l’âge, la période, et la génération.
a - L’effet âge : la place des jeunes
A l’intérieur des voitures qui roulent sur l’autoroute de la société, il y a deux types de places : les places confortables, à l’avant, et puis la banquette arrière - beaucoup moins sympa. Évidemment, tout le monde préfère être à l’avant. Sauf que notre génération passe de plus en plus de temps à poireauter sur la banquette arrière. Ça, c'est une des caractéristiques essentielles de la génération Y : elle accède beaucoup plus tard aux positions que ses parents occupaient au même âge.
C’est d’abord un truc qu’on constate avec les revenus. Au fil de notre vie, notre salaire progresse un peu chaque année. Avec toutefois deux périodes fastes :
-l’entrée dans la vie active, entre 23 et 30 ans,
-le départ des enfants, entre 46 et 55 ans.
C’est au terme de cette deuxième période que chaque individu atteint, en général, son revenu maximum. Regardons par exemple l’évolution du niveau de vie de Jean-Yves, né en 1950 :
Ça, c'était valable pour la génération de Jean-Yves. Depuis, il s’est passé pas mal de choses :
Entretemps, Jean-Yves a aussi eu un fils : Antoine, né en 1985. Et Antoine a pu constater tous ces effets par lui-même. Quand on compare la courbe prévisionnelle de son niveau de vie par rapport à celle de son père, ça donne ça :
Donc non seulement la génération Y reste pauvre beaucoup plus longtemps, mais en plus… elle vit dans un contexte global beaucoup moins favorable.
b - L’effet période : le poids du contexte
Nous revoilà dans la voiture. A l’arrière, les trois enfants ont bien grandi et ils commencent à se sentir pas mal à l’étroit sur leur banquette arrière.
Ce qui n’arrange rien, c'est qu'à l’extérieur, les conditions commencent à se gâter. Il se met à pleuvoir des trombes. Puis carrément à grêler. Du coup, les voitures ralentissent et un gros embouteillage commence à se créer…
Tout ça, c’est ce qu’on appelle l’effet période : c’est-à-dire des conditions extérieures qui affectent l'ensemble de la société. Quand la génération de nos parents a commencé à rouler, elle est partie la fleur au fusil, sous un grand soleil. D'ailleurs, leur époque était tellement mythique qu'on lui a donné un véritable nom de film hollywoodien :
Tout ceux qui sont nés pendant les Trente Glorieuses sont nés au bon endroit, au bon moment. Alors que pour la génération Y, le programme est un peu moins sympa...
Parmi les gros désavantages de la génération Y, il y en a un qui revient très souvent : le coût du logement… Alors, sommes-nous la génération sacrifiée du grand Monopoly de l’immobilier ?
Mais est-ce que le pouvoir d’achat immobilier retrouvera un jour son niveau initial ? Sans vouloir jouer les Madame Irma, on y croit pas trop.
Pourquoi les prix de l’immobilier ont monté ?
-pas parce qu’on manque de logements : selon l’INSEE, depuis 1998, la construction de logements a suivi de façon quasiment linéaire l’augmentation du nombre de ménages (et le nombre de logements vides a même augmenté).
-pas à cause d’une bulle immobilière : si c’était le cas, la crise de 2008 l’aurait fait éclater.
-la vraie raison, c’est peut-être celle-ci : la hausse du coût de la construction, de plus de 55 % en 15 ans, selon ce rapport de la Fédération Française du Bâtiment. Avec la demande massive venue du Brésil, d’Inde ou de Chine, le prix des matières premières utilisées dans le bâtiment a carrément doublé en 15 ans. Et en plus de ça, les nouvelles normes énergétiques (RT 2000, 2005, 2012…) ont fait augmenter les coûts de 15 à 20%.
Donc pour l’appart, au moins, c’est sûr : vous le paierez forcément plus cher que vos parents ! (désolé pour vous, hein). Et comme il y a peu de chances que les pays du sud décident de consommer moins et que le prix de l’énergie a peu de chances de baisser… Ça pourrait être encore pire pour vos enfants… (désolé pour eux).
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c - L’effet génération : l'héritage des générations précédentes
Encore une fois, on revient sur la route. On a poireauté, on s’est tapé la pluie, les embouteillages… et finalement, nos parents nous refilent les clés de la voiture ! Chouette alors, on va enfin pouvoir passer devant.
A ce moment-là, il y a deux options :
-Option 1 : nos parents ont pris soin de la voiture, franchement, elle roule nickel. C’est cool, on part sur les mêmes bases qu’eux quand leurs propres parents leur avaient donné les clés.
-Option 2 : hum, en fait, ils ont conduit un peu n’importe comment, les darons. La voiture est cabossée, elle a un pneu crevé et le réservoir vide… Bref, elle est dans un sale état.
Dans un monde idéal, les générations bénéficieraient toutes du même capital de départ, qu’elles se transmettraient les unes aux autres au fil du temps. Un peu comme si chaque famille partait avec une voiture inusable...
Dans un monde idéal, donc, l’effet génération devrait être nul, et aucune génération ne devrait pâtir du passage de la précédente. Mais il se trouve que pour la génération Y, c’est loin d’être le cas.
Parce que le style de vie des baby-boomers a clairement impacté le monde dans lequel on se trouve… et même : il l’impactera encore longtemps. Cet impact, on en parle souvent, et il se caractérise d’une manière très concrète.
Par la dette.
II / POURQUOI ON SERA JAMAIS AUSSI RICHE QU'EUX...
Nos parents ? On leur doit tout, évidemment. Tout ? Oui, et même beaucoup plus. Pendant les Trente Glorieuses, la génération des baby-boomers a adopté un style de vie qu’elle a conservé longtemps après… alors même que la société ne pouvait plus du tout se le payer. C’est là que la société française (comme pas mal d’autres, d’ailleurs), a commencé à développer sa dette.
Enfin plutôt, ses dettes.
Car oui : il y en a plusieurs.
a - La dette publique
La dette, c’est un peu l’histoire du Titanic. L’Etat fonce sur un iceberg qui est de plus en plus gros. Mais vraiment de plus en plus gros. Voici comment l’iceberg a grossi ces dernières années : En fait, depuis 1975 et la dernière année des Trente Glorieuses, l’Etat français s’endette de plus en plus chaque année : mi-2015, la dette publique a atteint 2 105 milliards d’euros.
Non seulement l’iceberg est déjà très gros, mais en plus, on ne se rend même pas compte que, sous la surface, c'est encore pire. Ça, c'est à cause de la dette implicite, c'est à dire tous les engagements que l’Etat a pris pour l’avenir, mais qu’il n’a pas encore payés (comme par exemple la retraite des fonctionnaires).
En prenant ça en compte, le montant de la dette atteint 5 400 milliards d’euros, soit environ 260% du PIB…
b - La dette sociale
L’assurance maladie et le système des retraites : ce sont évidemment deux immenses avantages sociaux du système français. Mais ils posent tout de même quelques petits problèmes d’équilibre financier : Avec l’allongement de l’espérance de vie, la vie après la retraite dure de plus en plus longtemps. Et on dépense aussi de plus en plus d’argent pour soigner les seniors. Voici d’ailleurs la courbe de répartition des dépenses de l’assurance maladie en fonction de l’âge : Le pire, c’est que les jeunes financent un système dont ils ne sont pas du tout sûrs de profiter… La raison pour laquelle le système est déséquilibré, c’est qu’à l’heure actuelle, pour deux personnes qui travaillent, il y en a trois sans emploi. Mais en 2050, ça va encore augmenter : à ce moment-là, chaque travailleur aura deux personnes à sa charge...
Du coup, on en vient à se demander...
c - La dette écologique
Au fait, vous faites un truc le 8 août ? Si vous êtes dispo, on voulait organiser un truc pour l’Overshoot Day.
Rien à voir avec du football ou un concours de pénaltys : l’Overshoot day, c’est une date calculée tous les ans par l'ONG Global Footprint Network. Ça correspond au jour où toutes les ressources théoriquement disponibles pour l’année en cours ont été épuisées. En 2016, ça tombe donc le 8 août. En gros, c’est un peu comme si vous aviez cramé votre salaire annuel pendant vos vacances à Saint-Trop’...
Car notre société est habituée à vivre en sur-régime… Au point qu’aujourd’hui, on se comporte comme si on avait 1,6 fois la planète Terre pour subvenir à nos besoins.
Dans notre vie de tous les jours, on commence déjà à ressentir les effets de ce sur-régime, notamment avec l’explosion des prix des matières premières, qui concerne aussi bien l’énergie (charbon, pétrole…) que le reste :
Sauf qu’une société qui vit au dessus de ses moyens, c’est aussi une société qui court à sa perte.
La disparition de la société ? Souvent, on considère ça plutôt comme un mauvais scénario de blockbuster que comme une possibilité concrète. Erreur ! Dans son génial bouquin Effondrement, Jared Diamond passe en revue plein d’exemples de sociétés dont les derniers mots furent : “T’inquiète, je gère”.
Jared Diamond étudie notamment le cas de l’Ile de Pâques. C’est un des endroits les plus isolés au monde. Et pourtant : au départ, elle a été colonisée par des Indonésiens qui ont traversé l’océan Pacifique sur 2000 km à bord de pirogues rudimentaires pour venir y vivre. Autant vous dire que les mecs étaient de sacrés navigateurs. Et pour eux, la ressource la plus précieuse était celle qui leur permettait de construire leur embarcation -c’est-à-dire le bois.
Or, à un moment, ces braves gens ont tous été pris d’une sorte d’hystérie collective : pour ériger des statues toujours plus grandes et en couvrir toute l'île, ils se sont mis à abattre tous les arbres et à utiliser les rondins pour déplacer les statues. Résultat ? Ils se sont retrouvés avec beaucoup de statues, mais… plus d’arbres. Et du coup, plus d'arbres, plus de pirogues (comme les bras et le chocolat, quoi).
Devenus prisonniers de leur île, les habitants se sont mis à péricliter. Ils étaient même au bord de la disparition quand l’île a été re-découverte par les Européens, un beau jour de Pâques 1722 (d’où son nom).
Au fait : non, ça n'a pas repoussé ! L'île de Paques, aujourd'hui, il n'y a plus aucun arbre et ça ressemble à ça.
Bref. Tout ça fait que non seulement notre niveau de vie actuel est inférieur à celui de nos parents, mais qu'en plus, si on veut laisser une planète correcte à nos enfants, il va aussi falloir changer un peu nos habitudes.
Ça tombe bien : de toute façon, la génération Y n’a pas envie d’être aussi riche que ses parents.
III / POURQUOI ON A PAS ENVIE D'ETRE AUSSI RICHE QUE NOS PARENTS
Moins riche que nos parents ? C’est bien parti pour, oui. Mais est-ce que notre vie en sera moins réussie pour autant ?
Non : parce qu'on ne jugera pas notre vie selon les mêmes critères.
Le monde dans lequel on vivra sera complètement différent de celui de nos parents. Alors juger notre avenir selons leur référentiel n’aurait simplement aucun sens. Oui, on sera moins riche. Oui, les ressources naturelles ne sont plus disponibles en quantités illimitées. Mais tout ça, ce n’est pas grave. Parce que la force de notre génération, c’est qu’elle est en train de changer de cadre. D’inventer un nouveau modèle.
Génération Y ? En anglais, ça se prononce Génération “Why ?”. C’est censé vouloir dire qu’on est une génération qui se pose plein de questions. Oui, c’est vrai : vu tous les changements en cours, il y a de quoi s’interroger. Mais on ne fait pas que se poser des questions. On y répond, aussi.
Parce que pour nous, les contraintes sont des opportunités. On est en train de transformer les contraintes héritées du mode de vie de nos parents en chances de réinventer le monde de demain.
-La société est endettée ? Mettez-vous à l’économie du partage.
On partage notre appart’ sur Couchsurfing, nos livres sur Booxup, et on fait des covoiturages sur Blablacar.
-Nos parents sont matérialistes ? Soyez pragmatiques.
Nos parents s’endettaient pour se payer une nouvelle voiture. Nous, on s’en fiche : on la loue sur Drivy.
-Il n’y a plus d’emplois ? Créez le vôtre.
En 2015, une entreprise sur 3 était créée par un jeune de moins de 35 ans.
-Nos parents rêvaient de CDI ? Préférez changer.
Nos parents restaient en moyenne des années et des années dans la même boîte. Nous ? Seulement 4, puis on va voir ailleurs.
-Le job de vos rêves n’existe pas ? Inventez-le.
On n'a pas les compétences ? On les apprend. Avec des bootcamps comme Le Wagon, on apprend à coder et on monte sa start-up pour commercialiser la recette de la soupe légendaire de votre grand-mère.
-Nos diplômes sont dévalorisés ? Passez-vous en.
Comme Steve Jobs, Mark Zuckerberg, Bill Gates ou Elon Musk, on sait qu’on n'a plus besoin de terminer nos études pour devenir millionnaires.
-Il faut sauver la planète ? Changez-vos habitudes.
On mange local et de saison en soutenant le locavorisme, qui représente déjà 10 % de la production française, ou en apprenant comment consommer autrement.
On nous appelle la génération Y, mais on est des optimistes, des débrouillards. Pas une génération maudite, mais une génération optimiste. On est la génération Yeah! : on veut inventer les solutions qui vont nous permettre d’avancer.
Alors on s’en fiche que la voiture que nos parents nous ont refilé soit cabossée. De toute façon, rouler en voiture, ça coûte cher, et en plus, on n'aura bientôt plus d’essence à mettre dedans.
Ça tombe bien : nous, on préfère marcher.
Temps de lecture : 12 minutes
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Pour commencer, voici un petit puzzle : ça s’appelle le Tetris des Vacances. Le but du jeu consiste à caser deux valises, une glacière, un chien et trois enfants à l’arrière d’une voiture.
La meilleure méthode ? Bon, bien sûr, on peut toujours chipoter. Mais il y en a une qui marche à tous les coups : c’est de tasser.
Eh oui. On arrive au mois de juillet. Jean-Pierre Pernaut et Bison Fûté vont bientôt commenter en direct live le grand défilé de l’été. Et ce n’est pas celui auquel vous pensez...
Pour pas mal d’entre nous, ce chassé-croisé, ce sont des souvenirs de longs trajets inconfortables à travers la France. Où, coincés entre son frère et sa soeur sur la banquette arrière pendant que les parents étaient confortablement installés à l’avant, on prenait son mal en patience. A deux niveaux :
1, en espérant arriver bientôt.
2, en se disant que notre tour viendrait : un jour, nous aussi on serait installés à l’avant… à la place des adultes.
En fait, quand on se projette dans l’avenir, on s’imagine souvent suivre la voie de nos parents. Ça ne veut pas forcément dire faire dentiste comme papa, non… Mais plutôt envisager un avenir qui suive la même trajectoire. Comme si l’histoire devait se répéter.
Alors que non, notre vie ne ressemblera pas à celle de nos parents. Parce que la grande différence entre eux et nous, c’est qu’on appartient à deux générations différentes. Et que cette appartenance va façonner notre destin.
On dit souvent que notre avenir s’annonce moins rose que celui de nos parents. Qu’on est une génération sacrifiée. Cette question, on l’a abordée dix mille fois en dîner, avec nos potes.
Alors, notre avenir sera-t-il vraiment moins rose que celui de nos parents ?
I / POURQUOI NOS PARENTS SONT PLUS RICHES QUE NOUS
A priori, on imagine que vous n’êtes pas trop fan de ce genre de truc. Mais si c’est le cas, vous pouvez tout de suite laisser tomber votre horoscope de l’été. On a trouvé beaucoup mieux.
Non non, vraiment, encore mieux que ça. On a même pas besoin de votre signe astrologique : juste de votre année de naissance.
Vous êtes nés entre 1977 et 1994 ? En gros, votre vie, ça va donner ça :
Amour ? Vous vous marierez à 30 ans. Il y a 10% de chances que vous divorciez au bout de 5 ans.
Santé ? Good news : vous allez vivre longtemps, quasiment cent ans. (Donc vous aurez le temps de vous re-caser, hein).
Travail ? Désolé, mais là, c’est un peu décevant. Si vous avez 25 ans aujourd'hui, votre revenu disponible est déjà 19 % inférieur à celui de vos parents au même âge (comme le montre ce simulateur génial). Et si on intègre vos dépenses de logement, ça peut aller jusqu'à 40% moins riche.
Tout ça, ce sont les caractéristiques de la génération Y - c’est à dire les gens nés entre 1977 et 1994. Depuis quelques années, on s’amuse à donner des noms aux générations : X, Y, Z… Comme les chromosomes, d’ailleurs. Et ce qui est marrant, c’est que comme eux, les générations nous définissent.
Plus précisément : elles définissent notre place dans la société.
Notre place dans la société? OK, mais d’abord, c’est quoi, une société ?
Selon Wikipédia, c’est “un ensemble d'individus qui partagent des normes, des comportements et une culture, et qui interagissent en coopération pour former un groupe ou une communauté”.
Bon, faut avouer que c'est pas forcément évident, comme définition... Alors disons plutôt que la société, c’est comme une autoroute : plein de gens qui roulent dans le même sens, à l’intérieur de voitures plus ou moins cool, plus ou moins récentes.
Et notre position sur cette autoroute (c’est-à-dire notre place à l’intérieur de la société), elle dépend globalement de trois critères principaux : l’âge, la période, et la génération.
a - L’effet âge : la place des jeunes
A l’intérieur des voitures qui roulent sur l’autoroute de la société, il y a deux types de places : les places confortables, à l’avant, et puis la banquette arrière - beaucoup moins sympa. Évidemment, tout le monde préfère être à l’avant. Sauf que notre génération passe de plus en plus de temps à poireauter sur la banquette arrière. Ça, c'est une des caractéristiques essentielles de la génération Y : elle accède beaucoup plus tard aux positions que ses parents occupaient au même âge.
C’est d’abord un truc qu’on constate avec les revenus. Au fil de notre vie, notre salaire progresse un peu chaque année. Avec toutefois deux périodes fastes :
-l’entrée dans la vie active, entre 23 et 30 ans,
-le départ des enfants, entre 46 et 55 ans.
C’est au terme de cette deuxième période que chaque individu atteint, en général, son revenu maximum. Regardons par exemple l’évolution du niveau de vie de Jean-Yves, né en 1950 :
Ça, c'était valable pour la génération de Jean-Yves. Depuis, il s’est passé pas mal de choses :
Entretemps, Jean-Yves a aussi eu un fils : Antoine, né en 1985. Et Antoine a pu constater tous ces effets par lui-même. Quand on compare la courbe prévisionnelle de son niveau de vie par rapport à celle de son père, ça donne ça :
En gros, Jean-Yves a atteint son niveau de vie maximum à 40 ans. Antoine, lui, devra patienter jusqu'à au moins 55 ans... Et attendre beaucoup plus longtemps que son père pour arriver au même stade.
Donc non seulement la génération Y reste pauvre beaucoup plus longtemps, mais en plus… elle vit dans un contexte global beaucoup moins favorable.
b - L’effet période : le poids du contexte
Les Trente Glorieuses, c’est une période de 30 ans qui a duré de 1946 à 1975. Et pour tout ceux qui sont nés à ce moment-là, c’est un peu comme s'ils avaient gagné au loto :
Tout ceux qui sont nés pendant les Trente Glorieuses sont nés au bon endroit, au bon moment. Alors que pour la génération Y, le programme est un peu moins sympa...
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Parenthèse "Monopoly"
Parenthèse "Monopoly"
Parmi les gros désavantages de la génération Y, il y en a un qui revient très souvent : le coût du logement… Alors, sommes-nous la génération sacrifiée du grand Monopoly de l’immobilier ?
A première vue, on dirait bien que oui : depuis 1998, les prix ont augmenté de 70% en moyenne en France… et encore plus à Paris. Sauf qu’en fait, en même temps, les taux d’intérêt ont été divisés par trois… et emprunter de l’argent coûte donc beaucoup moins cher. Au final, donc, le pouvoir d’achat immobilier a baissé d’environ 25% depuis 1998 (voir les travaux géniaux de Jacques Friggit sur le sujet).
Mais est-ce que le pouvoir d’achat immobilier retrouvera un jour son niveau initial ? Sans vouloir jouer les Madame Irma, on y croit pas trop.
Pourquoi les prix de l’immobilier ont monté ?
-pas parce qu’on manque de logements : selon l’INSEE, depuis 1998, la construction de logements a suivi de façon quasiment linéaire l’augmentation du nombre de ménages (et le nombre de logements vides a même augmenté).
-pas à cause d’une bulle immobilière : si c’était le cas, la crise de 2008 l’aurait fait éclater.
-la vraie raison, c’est peut-être celle-ci : la hausse du coût de la construction, de plus de 55 % en 15 ans, selon ce rapport de la Fédération Française du Bâtiment. Avec la demande massive venue du Brésil, d’Inde ou de Chine, le prix des matières premières utilisées dans le bâtiment a carrément doublé en 15 ans. Et en plus de ça, les nouvelles normes énergétiques (RT 2000, 2005, 2012…) ont fait augmenter les coûts de 15 à 20%.
Donc pour l’appart, au moins, c’est sûr : vous le paierez forcément plus cher que vos parents ! (désolé pour vous, hein). Et comme il y a peu de chances que les pays du sud décident de consommer moins et que le prix de l’énergie a peu de chances de baisser… Ça pourrait être encore pire pour vos enfants… (désolé pour eux).
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c - L’effet génération : l'héritage des générations précédentes
Encore une fois, on revient sur la route. On a poireauté, on s’est tapé la pluie, les embouteillages… et finalement, nos parents nous refilent les clés de la voiture ! Chouette alors, on va enfin pouvoir passer devant.
A ce moment-là, il y a deux options :
-Option 1 : nos parents ont pris soin de la voiture, franchement, elle roule nickel. C’est cool, on part sur les mêmes bases qu’eux quand leurs propres parents leur avaient donné les clés.
-Option 2 : hum, en fait, ils ont conduit un peu n’importe comment, les darons. La voiture est cabossée, elle a un pneu crevé et le réservoir vide… Bref, elle est dans un sale état.
Dans un monde idéal, les générations bénéficieraient toutes du même capital de départ, qu’elles se transmettraient les unes aux autres au fil du temps. Un peu comme si chaque famille partait avec une voiture inusable...
Dans un monde idéal, donc, l’effet génération devrait être nul, et aucune génération ne devrait pâtir du passage de la précédente. Mais il se trouve que pour la génération Y, c’est loin d’être le cas.
Parce que le style de vie des baby-boomers a clairement impacté le monde dans lequel on se trouve… et même : il l’impactera encore longtemps. Cet impact, on en parle souvent, et il se caractérise d’une manière très concrète.
Par la dette.
II / POURQUOI ON SERA JAMAIS AUSSI RICHE QU'EUX...
Nos parents ? On leur doit tout, évidemment. Tout ? Oui, et même beaucoup plus. Pendant les Trente Glorieuses, la génération des baby-boomers a adopté un style de vie qu’elle a conservé longtemps après… alors même que la société ne pouvait plus du tout se le payer. C’est là que la société française (comme pas mal d’autres, d’ailleurs), a commencé à développer sa dette.
Enfin plutôt, ses dettes.
Car oui : il y en a plusieurs.
a - La dette publique
La dette, c’est un peu l’histoire du Titanic. L’Etat fonce sur un iceberg qui est de plus en plus gros. Mais vraiment de plus en plus gros. Voici comment l’iceberg a grossi ces dernières années : En fait, depuis 1975 et la dernière année des Trente Glorieuses, l’Etat français s’endette de plus en plus chaque année : mi-2015, la dette publique a atteint 2 105 milliards d’euros.
Ça fait quand même 5 500 fois le coût du Stade de France...
Non seulement l’iceberg est déjà très gros, mais en plus, on ne se rend même pas compte que, sous la surface, c'est encore pire. Ça, c'est à cause de la dette implicite, c'est à dire tous les engagements que l’Etat a pris pour l’avenir, mais qu’il n’a pas encore payés (comme par exemple la retraite des fonctionnaires).
En prenant ça en compte, le montant de la dette atteint 5 400 milliards d’euros, soit environ 260% du PIB…
b - La dette sociale
L’assurance maladie et le système des retraites : ce sont évidemment deux immenses avantages sociaux du système français. Mais ils posent tout de même quelques petits problèmes d’équilibre financier : Avec l’allongement de l’espérance de vie, la vie après la retraite dure de plus en plus longtemps. Et on dépense aussi de plus en plus d’argent pour soigner les seniors. Voici d’ailleurs la courbe de répartition des dépenses de l’assurance maladie en fonction de l’âge : Le pire, c’est que les jeunes financent un système dont ils ne sont pas du tout sûrs de profiter… La raison pour laquelle le système est déséquilibré, c’est qu’à l’heure actuelle, pour deux personnes qui travaillent, il y en a trois sans emploi. Mais en 2050, ça va encore augmenter : à ce moment-là, chaque travailleur aura deux personnes à sa charge...
Du coup, on en vient à se demander...
c - La dette écologique
Au fait, vous faites un truc le 8 août ? Si vous êtes dispo, on voulait organiser un truc pour l’Overshoot Day.
Rien à voir avec du football ou un concours de pénaltys : l’Overshoot day, c’est une date calculée tous les ans par l'ONG Global Footprint Network. Ça correspond au jour où toutes les ressources théoriquement disponibles pour l’année en cours ont été épuisées. En 2016, ça tombe donc le 8 août. En gros, c’est un peu comme si vous aviez cramé votre salaire annuel pendant vos vacances à Saint-Trop’...
Car notre société est habituée à vivre en sur-régime… Au point qu’aujourd’hui, on se comporte comme si on avait 1,6 fois la planète Terre pour subvenir à nos besoins.
Concrètement ? Ça veut dire que génération après génération, se déplacer, se chauffer deviendra de plus en plus cher. Et vos petits-enfants seront vachement impressionnés quand vous leur direz que quand vous étiez jeune, vous voyagiez en avion…
Bon, tout ça ne veut pas dire que nos parents ont délibérément orchestré la fin du monde… Non, mais simplement que les baby-boomers ont instauré une société d’abondance qui a pris l’habitude de vivre très largement au-dessus de ses moyens.
Sauf qu’une société qui vit au dessus de ses moyens, c’est aussi une société qui court à sa perte.
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Parenthèse détente :
Les sociétés qui courent à leur perte
Parenthèse détente :
Les sociétés qui courent à leur perte
La disparition de la société ? Souvent, on considère ça plutôt comme un mauvais scénario de blockbuster que comme une possibilité concrète. Erreur ! Dans son génial bouquin Effondrement, Jared Diamond passe en revue plein d’exemples de sociétés dont les derniers mots furent : “T’inquiète, je gère”.
Jared Diamond étudie notamment le cas de l’Ile de Pâques. C’est un des endroits les plus isolés au monde. Et pourtant : au départ, elle a été colonisée par des Indonésiens qui ont traversé l’océan Pacifique sur 2000 km à bord de pirogues rudimentaires pour venir y vivre. Autant vous dire que les mecs étaient de sacrés navigateurs. Et pour eux, la ressource la plus précieuse était celle qui leur permettait de construire leur embarcation -c’est-à-dire le bois.
Or, à un moment, ces braves gens ont tous été pris d’une sorte d’hystérie collective : pour ériger des statues toujours plus grandes et en couvrir toute l'île, ils se sont mis à abattre tous les arbres et à utiliser les rondins pour déplacer les statues. Résultat ? Ils se sont retrouvés avec beaucoup de statues, mais… plus d’arbres. Et du coup, plus d'arbres, plus de pirogues (comme les bras et le chocolat, quoi).
Devenus prisonniers de leur île, les habitants se sont mis à péricliter. Ils étaient même au bord de la disparition quand l’île a été re-découverte par les Européens, un beau jour de Pâques 1722 (d’où son nom).
Au fait : non, ça n'a pas repoussé ! L'île de Paques, aujourd'hui, il n'y a plus aucun arbre et ça ressemble à ça.
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Bref. Tout ça fait que non seulement notre niveau de vie actuel est inférieur à celui de nos parents, mais qu'en plus, si on veut laisser une planète correcte à nos enfants, il va aussi falloir changer un peu nos habitudes.
Ça tombe bien : de toute façon, la génération Y n’a pas envie d’être aussi riche que ses parents.
III / POURQUOI ON A PAS ENVIE D'ETRE AUSSI RICHE QUE NOS PARENTS
Moins riche que nos parents ? C’est bien parti pour, oui. Mais est-ce que notre vie en sera moins réussie pour autant ?
Non : parce qu'on ne jugera pas notre vie selon les mêmes critères.
Le monde dans lequel on vivra sera complètement différent de celui de nos parents. Alors juger notre avenir selons leur référentiel n’aurait simplement aucun sens. Oui, on sera moins riche. Oui, les ressources naturelles ne sont plus disponibles en quantités illimitées. Mais tout ça, ce n’est pas grave. Parce que la force de notre génération, c’est qu’elle est en train de changer de cadre. D’inventer un nouveau modèle.
Génération Y ? En anglais, ça se prononce Génération “Why ?”. C’est censé vouloir dire qu’on est une génération qui se pose plein de questions. Oui, c’est vrai : vu tous les changements en cours, il y a de quoi s’interroger. Mais on ne fait pas que se poser des questions. On y répond, aussi.
Parce que pour nous, les contraintes sont des opportunités. On est en train de transformer les contraintes héritées du mode de vie de nos parents en chances de réinventer le monde de demain.
Aux questions que nous laisse le monde de nos parents, on a déjà plein de réponses disponibles. En voilà quelques unes :
-La société est endettée ? Mettez-vous à l’économie du partage.
On partage notre appart’ sur Couchsurfing, nos livres sur Booxup, et on fait des covoiturages sur Blablacar.
-Nos parents sont matérialistes ? Soyez pragmatiques.
Nos parents s’endettaient pour se payer une nouvelle voiture. Nous, on s’en fiche : on la loue sur Drivy.
-Il n’y a plus d’emplois ? Créez le vôtre.
En 2015, une entreprise sur 3 était créée par un jeune de moins de 35 ans.
-Nos parents rêvaient de CDI ? Préférez changer.
Nos parents restaient en moyenne des années et des années dans la même boîte. Nous ? Seulement 4, puis on va voir ailleurs.
-Le job de vos rêves n’existe pas ? Inventez-le.
On n'a pas les compétences ? On les apprend. Avec des bootcamps comme Le Wagon, on apprend à coder et on monte sa start-up pour commercialiser la recette de la soupe légendaire de votre grand-mère.
-Nos diplômes sont dévalorisés ? Passez-vous en.
Comme Steve Jobs, Mark Zuckerberg, Bill Gates ou Elon Musk, on sait qu’on n'a plus besoin de terminer nos études pour devenir millionnaires.
-Il faut sauver la planète ? Changez-vos habitudes.
On mange local et de saison en soutenant le locavorisme, qui représente déjà 10 % de la production française, ou en apprenant comment consommer autrement.
On nous appelle la génération Y, mais on est des optimistes, des débrouillards. Pas une génération maudite, mais une génération optimiste. On est la génération Yeah! : on veut inventer les solutions qui vont nous permettre d’avancer.
Alors on s’en fiche que la voiture que nos parents nous ont refilé soit cabossée. De toute façon, rouler en voiture, ça coûte cher, et en plus, on n'aura bientôt plus d’essence à mettre dedans.
Ça tombe bien : nous, on préfère marcher.
Et on aime aussi partager. Comme ce Topo, par exemple :