Une course de cinglés
The Ice Run
10-04-2018
« Toi, une moto russe antique et le lac le plus profond du monde… »
Ça, c'est la présentation de la Ice Run par The Adventurists, l'agence de voyages "pour fous" qui organise chaque année cette course de cinglés.
C'est quoi ? Concrètement, une course en moto vintage à travers les eaux gelées du plus grand lac du monde, le lac Baïkal (636 km de long, quand même). Petite précision importante : c'est au beau milieu de la Sibérie. Un aperçu en vidéo, ça donne ça :
Cette année, deux Français se sont chauffés pour participer à l'aventure : Jacques de Brébisson et Antoine Lukaszewski. On a rencontré Antoine, qui nous a tout raconté de son périple...
Salut Antoine ! Alors ces vacances ?
(rires)
Bon, sérieusement : comment on décide un jour de participer à la Ice Run ?
Au départ, c'est vraiment un défi qu'on s'est lancé avec Jacques. On s'est rencontrés il y a environ 10 ans, on s'est mis à naviguer ensemble. On a fait pas mal de raids en catamarans (ambiance sac étanche / une semaine en mer). Jacques est aussi un grand fan de moto, moi j'adore voyager. La Ice Run, ça réunissait tous les ingrédients : des vieux side-cars, la Sibérie, un paquet de tarés. C'était difficile de résister...
Concrètement, on se prépare comment ?
Bon, avant que le projet prenne forme, il a fallu 2 ans. Il a fallu se libérer beaucoup de temps, prendre une très bonne assurance vie et se jeter à l’eau. Une fois la date bloquée, on a passé 6 mois à acheter le matériel, chercher des partenaires et de l’argent pour participer à la course. Il faut quand même compter 17000€. On a eu la chance de trouver des sponsors, dont deux jeunes marques d’équipement moto françaises, Marko et Vstreet.
Bon, parlons un peu de la course. Ça a pas hyper bien commencé...
Ouais, pas vraiment. Première grosse bûche : 12h avant le départ, Jacques paume son passeport… On s'est dit qu'on allait bien finir par remettre la main dessus, mais non. En plus, les règles du Ice Run sont strictes, il faut être deux. Et évidemment, impossible de joindre les organisateurs depuis Paris pour essayer de négocier... Du coup, à quelques heures du rendez-vous en Sibérie, j’ai tenté le tout pour le tout : je suis parti tout seul.
Une fois arrivé, comment as-tu fait ?
Sur place, on était 10 équipes de deux (sauf moi, donc), venues des quatre coins du globe : il y avait des Américains, des Australiens, des Roumains, des Anglais, des Néo-Zélandais, des Ukrainiens et des Français, mélange de sales gosses et de vrais baroudeurs, ça donnait une ambiance assez dingue. Puis les organisateurs m’ont proposé d’embarquer un journaliste pour remplacer Jacques. J'ai pu partir !
Les premiers jours, il se passe quoi ?
On a commencé avec une formation pour piloter les side-cars Ural. C’est quand même des motos bien pourries, hein... On t'initie à la conduite de side-car sur la glace (bien technique) et on te file quelques bases de mécanique. Une fois dans la ville de départ, on est tombé sur un vieux Russe qui nous a donné quelques conseils : en gros, apprendre à distinguer les différents types de failles dans la glace, pour rester en vie...
En gros, il y a deux types de failles :
-celle où deux morceaux de glace se rencontrent, ça fait comme un mur devant toi,
-celle où deux morceaux s’écartent. Là tu tombes directement dans le lac. C'est arrivé à une des équipes, d'ailleurs. Ils ont réussi à sortir le side-car de l'eau, mais une fois que tu es mouillé, c'est bien chaud pour toi...
Sympa... et donc, les premiers jours sur la glace ?
Les premiers jours, on a fait environ 900km, en partant du sud vers le nord. C'était vraiment hyper fatigant parce que le side-car glisse, il dérive tout le temps et on se retourne très facilement sur les bosses de glaces ou les tas de neige.
Exemple de side-car qui se retourne sur la neige.
La moto a tenu le coup ?
Environ tous les 20 km tu as une galère qui t’arrive. Soit c’est mécanique, soit c’est tes sacs qui se décrochent, ou la roue de secours qui se barre… etc.
Par exemple, il vous est arrivé quoi ?
Un peu tout : on a cassé des rayons des roues, les échappements qui se sont tirés, l’alternateur qui a lâché, le pare-choc qui s’est éclipsé, la batterie qui est morte.. et évidemment des fuites d’huiles et d’essence. Mais la plus grosse galère, c’est la boîte de vitesse qui a cassé. Heureusement, c'était à 5km du camion qui faisait le ravitaillement en essence. Là, ils avaient une vieille épave de moto en rab à partir de laquelle on a pu réparer. Ça nous a pris une après-midi.
Et le froid dans tout ça ?
On se les pèle GRAVE ! C'est même la principale difficulté, en fait. Genre tu fais tomber un outil sur la glace, là il se colle au sol et quand tu essaies de le récupérer, c'est toi qui te colles à l’outil… Mais bon, la journée, ça va. C'est la nuit qui est le plus dur : il fait -35°C, la tente gèle, le sac de couchage gèle, tes bottes gèlent... Tout ce que tu laisses traîner gèle. Et surtout l’eau.
Donc tu es au-dessus d'un énorme lac, mais tu n'as pas d'eau...
Du coup, pour se réchauffer on buvait de la vodka. Ça m’a joué des tours, j’ai fait une grosse crise de déshydratation. J'ai dû sortir en pleine nuit et casser la glace à la hâche pour avoir un peu d’eau.
Pourquoi ne pas sucer un glaçon ?
Ton corps consomme beaucoup d’énergie à faire fondre la glace donc tu perds plus d’énergie à le faire que tu en gagnes.
Tu manges quoi quand tout est gelé ?
Des barres de céréales congelées, tu suces des Nuts et des Snickers en journée et le soir tu manges du lyophilisé. Préparer du lyophilisé prend un temps dingue : le gaz gèle donc tu es obligé de prendre l’essence de la moto. Il faut 45 minutes pour chauffer 4 litres de glace et avoir un litre d’eau qui se refroidit en 3 minutes.
Des dangers insoupçonnés ?
Quand tu pars le matin, il faut vérifier que ton coéquipier est bien couvert, car si ce n’est pas le cas, les zones exposées vont geler (le nez par exemple). Le froid anesthésie, tu ne t’en rends pas compte tout de suite. Avant de partir le matin, tu te fais aussi chauffer de l’eau pour la journée. Pour la conserver, il faut la garder dans ton blouson avec les crèmes pour les engelures afin que ça ne gèle pas. Cela prend du temps avant de trouver la bonne formule pour ne pas crever de froid. Ça a payé au final, on fait partie des seuls à être arrivé.
Qui a gagné la Ice Run ?
Il y a une équipe qui a dû abandonner, il y a un mec qui s’est cassé la cheville, un autre qui s’est cassé le genou, plusieurs motos qui ont rendu l’âme. Au final, il n’y a pas eu de classement. Si tu arrivais au bout avec ta moto et avec tes dix doigts, tu avais déjà gagné.
Vous avez profité de la course pour retrouver un lieu mythique ?
Oui. Durant notre itinéraire, on s’est arrêté une journée et une nuit dans la cabane de Sylvain Tesson (l'écrivain français qui a écrit « Dans les forêts de Sibérie » et a vécu 6 mois sur le lac Baïkal pour écrire le livre). On est arrivé à retrouver sa cabane - même si, dans son livre, il donne les mauvaises coordonnées. On a trouvé la cabane grâce à des photos et il a fallu longer la rive à pied. Il avait laissé un petit carnet, alors on a laissé un mot et une bouteille de vodka pour les suivants.
Vous étiez bien équipés pour faire la Ice Run ?
On a eu des super partenaires. Le choix du casque n’est pas évident, car il faut être bien protégé du froid et pouvoir mettre un masque adapté. Nous avions un casque Marko, le Full Moon qui protège toute la tête et qui permet d’être porté avec un masque, c’est l’idéal. Le masque permet d’éviter la réverbération du lac dans l’écran du casque. On avait également des cagoules, des tours de cou et des plastrons de chez Vstreet qui est un équipementier moto technique.
Quels seraient tes conseils pour les prochains participants ?
J'ai UN conseil : avoir vraiment un bon réchaud ! Ensuite ; avoir des chaufferettes, avoir de bonnes connaissances en mécanique. Soyez sûrs que vous allez bien en chier, vraiment, vraiment. Il faut un très bon mental.
Le retour à la réalité ?
Ça pique. On a pris le Transsibérien pour rentrer. Quand tu fais 15 jours dans le froid, tu ne te rends pas compte que tu pues. Mais quand tu montes dans le train avec 20 connards qui ne se sont pas lavés depuis 15 jours, là c’est l’enfer...
Prochaine Ice Run du 11 au 23 mars 2019 (dates à confirmer)
Pour plus d’information, rendez-vous le site de The Adventurists.
Ça, c'est la présentation de la Ice Run par The Adventurists, l'agence de voyages "pour fous" qui organise chaque année cette course de cinglés.
C'est quoi ? Concrètement, une course en moto vintage à travers les eaux gelées du plus grand lac du monde, le lac Baïkal (636 km de long, quand même). Petite précision importante : c'est au beau milieu de la Sibérie. Un aperçu en vidéo, ça donne ça :
Cette année, deux Français se sont chauffés pour participer à l'aventure : Jacques de Brébisson et Antoine Lukaszewski. On a rencontré Antoine, qui nous a tout raconté de son périple...
Salut Antoine ! Alors ces vacances ?
(rires)
Bon, sérieusement : comment on décide un jour de participer à la Ice Run ?
Au départ, c'est vraiment un défi qu'on s'est lancé avec Jacques. On s'est rencontrés il y a environ 10 ans, on s'est mis à naviguer ensemble. On a fait pas mal de raids en catamarans (ambiance sac étanche / une semaine en mer). Jacques est aussi un grand fan de moto, moi j'adore voyager. La Ice Run, ça réunissait tous les ingrédients : des vieux side-cars, la Sibérie, un paquet de tarés. C'était difficile de résister...
Concrètement, on se prépare comment ?
Bon, avant que le projet prenne forme, il a fallu 2 ans. Il a fallu se libérer beaucoup de temps, prendre une très bonne assurance vie et se jeter à l’eau. Une fois la date bloquée, on a passé 6 mois à acheter le matériel, chercher des partenaires et de l’argent pour participer à la course. Il faut quand même compter 17000€. On a eu la chance de trouver des sponsors, dont deux jeunes marques d’équipement moto françaises, Marko et Vstreet.
Bon, parlons un peu de la course. Ça a pas hyper bien commencé...
Ouais, pas vraiment. Première grosse bûche : 12h avant le départ, Jacques paume son passeport… On s'est dit qu'on allait bien finir par remettre la main dessus, mais non. En plus, les règles du Ice Run sont strictes, il faut être deux. Et évidemment, impossible de joindre les organisateurs depuis Paris pour essayer de négocier... Du coup, à quelques heures du rendez-vous en Sibérie, j’ai tenté le tout pour le tout : je suis parti tout seul.
Une fois arrivé, comment as-tu fait ?
Sur place, on était 10 équipes de deux (sauf moi, donc), venues des quatre coins du globe : il y avait des Américains, des Australiens, des Roumains, des Anglais, des Néo-Zélandais, des Ukrainiens et des Français, mélange de sales gosses et de vrais baroudeurs, ça donnait une ambiance assez dingue. Puis les organisateurs m’ont proposé d’embarquer un journaliste pour remplacer Jacques. J'ai pu partir !
Les premiers jours, il se passe quoi ?
On a commencé avec une formation pour piloter les side-cars Ural. C’est quand même des motos bien pourries, hein... On t'initie à la conduite de side-car sur la glace (bien technique) et on te file quelques bases de mécanique. Une fois dans la ville de départ, on est tombé sur un vieux Russe qui nous a donné quelques conseils : en gros, apprendre à distinguer les différents types de failles dans la glace, pour rester en vie...
En gros, il y a deux types de failles :
-celle où deux morceaux de glace se rencontrent, ça fait comme un mur devant toi,
-celle où deux morceaux s’écartent. Là tu tombes directement dans le lac. C'est arrivé à une des équipes, d'ailleurs. Ils ont réussi à sortir le side-car de l'eau, mais une fois que tu es mouillé, c'est bien chaud pour toi...
Sympa... et donc, les premiers jours sur la glace ?
Les premiers jours, on a fait environ 900km, en partant du sud vers le nord. C'était vraiment hyper fatigant parce que le side-car glisse, il dérive tout le temps et on se retourne très facilement sur les bosses de glaces ou les tas de neige.
Exemple de side-car qui se retourne sur la neige.
La moto a tenu le coup ?
Environ tous les 20 km tu as une galère qui t’arrive. Soit c’est mécanique, soit c’est tes sacs qui se décrochent, ou la roue de secours qui se barre… etc.
Un peu tout : on a cassé des rayons des roues, les échappements qui se sont tirés, l’alternateur qui a lâché, le pare-choc qui s’est éclipsé, la batterie qui est morte.. et évidemment des fuites d’huiles et d’essence. Mais la plus grosse galère, c’est la boîte de vitesse qui a cassé. Heureusement, c'était à 5km du camion qui faisait le ravitaillement en essence. Là, ils avaient une vieille épave de moto en rab à partir de laquelle on a pu réparer. Ça nous a pris une après-midi.
Et le froid dans tout ça ?
On se les pèle GRAVE ! C'est même la principale difficulté, en fait. Genre tu fais tomber un outil sur la glace, là il se colle au sol et quand tu essaies de le récupérer, c'est toi qui te colles à l’outil… Mais bon, la journée, ça va. C'est la nuit qui est le plus dur : il fait -35°C, la tente gèle, le sac de couchage gèle, tes bottes gèlent... Tout ce que tu laisses traîner gèle. Et surtout l’eau.
Donc tu es au-dessus d'un énorme lac, mais tu n'as pas d'eau...
Du coup, pour se réchauffer on buvait de la vodka. Ça m’a joué des tours, j’ai fait une grosse crise de déshydratation. J'ai dû sortir en pleine nuit et casser la glace à la hâche pour avoir un peu d’eau.
Pourquoi ne pas sucer un glaçon ?
Ton corps consomme beaucoup d’énergie à faire fondre la glace donc tu perds plus d’énergie à le faire que tu en gagnes.
Tu manges quoi quand tout est gelé ?
Des barres de céréales congelées, tu suces des Nuts et des Snickers en journée et le soir tu manges du lyophilisé. Préparer du lyophilisé prend un temps dingue : le gaz gèle donc tu es obligé de prendre l’essence de la moto. Il faut 45 minutes pour chauffer 4 litres de glace et avoir un litre d’eau qui se refroidit en 3 minutes.
Des dangers insoupçonnés ?
Quand tu pars le matin, il faut vérifier que ton coéquipier est bien couvert, car si ce n’est pas le cas, les zones exposées vont geler (le nez par exemple). Le froid anesthésie, tu ne t’en rends pas compte tout de suite. Avant de partir le matin, tu te fais aussi chauffer de l’eau pour la journée. Pour la conserver, il faut la garder dans ton blouson avec les crèmes pour les engelures afin que ça ne gèle pas. Cela prend du temps avant de trouver la bonne formule pour ne pas crever de froid. Ça a payé au final, on fait partie des seuls à être arrivé.
Qui a gagné la Ice Run ?
Il y a une équipe qui a dû abandonner, il y a un mec qui s’est cassé la cheville, un autre qui s’est cassé le genou, plusieurs motos qui ont rendu l’âme. Au final, il n’y a pas eu de classement. Si tu arrivais au bout avec ta moto et avec tes dix doigts, tu avais déjà gagné.
Vous avez profité de la course pour retrouver un lieu mythique ?
Oui. Durant notre itinéraire, on s’est arrêté une journée et une nuit dans la cabane de Sylvain Tesson (l'écrivain français qui a écrit « Dans les forêts de Sibérie » et a vécu 6 mois sur le lac Baïkal pour écrire le livre). On est arrivé à retrouver sa cabane - même si, dans son livre, il donne les mauvaises coordonnées. On a trouvé la cabane grâce à des photos et il a fallu longer la rive à pied. Il avait laissé un petit carnet, alors on a laissé un mot et une bouteille de vodka pour les suivants.
Vous étiez bien équipés pour faire la Ice Run ?
On a eu des super partenaires. Le choix du casque n’est pas évident, car il faut être bien protégé du froid et pouvoir mettre un masque adapté. Nous avions un casque Marko, le Full Moon qui protège toute la tête et qui permet d’être porté avec un masque, c’est l’idéal. Le masque permet d’éviter la réverbération du lac dans l’écran du casque. On avait également des cagoules, des tours de cou et des plastrons de chez Vstreet qui est un équipementier moto technique.
Quels seraient tes conseils pour les prochains participants ?
J'ai UN conseil : avoir vraiment un bon réchaud ! Ensuite ; avoir des chaufferettes, avoir de bonnes connaissances en mécanique. Soyez sûrs que vous allez bien en chier, vraiment, vraiment. Il faut un très bon mental.
Le retour à la réalité ?
Ça pique. On a pris le Transsibérien pour rentrer. Quand tu fais 15 jours dans le froid, tu ne te rends pas compte que tu pues. Mais quand tu montes dans le train avec 20 connards qui ne se sont pas lavés depuis 15 jours, là c’est l’enfer...
Prochaine Ice Run du 11 au 23 mars 2019 (dates à confirmer)
Pour plus d’information, rendez-vous le site de The Adventurists.